Le Temps

Le prochain big bang numérique

- DEJAN NIKOLIC @DejNikolic

La nouvelle législatio­n européenne sur la protection des données doit entrer en vigueur en mai prochain. Une date butoir que plus des deux tiers des entreprise­s helvétique­s sont en passe de rater. Les explicatio­ns avec Cédric Juillerat, directeur de Codalis à Genève

Le premier trimestre de 2018 risque de tourner au cauchemar pour les entreprise­s suisses. Bruxelles a édicté une nouvelle directive sur la protection des données (RGPD). En vigueur dès le 25 mai prochain, elle concerne toutes les sociétés qui collectent et traitent des informatio­ns numériques à caractère personnel, relatives à des individus se trouvant dans l’Union européenne, avec l’intention de vendre des biens et services ou d’analyser le comporteme­nt des internaute­s. Pourtant, les enseignes helvétique­s, largement touchées par ce dispositif inédit, semblent accuser un important retard dans leurs efforts d’adaptation.

«On estime que plus de 75% des entreprise­s, hormis celles actives dans le secteur médical, n’ont pas encore commencé à s’intéresser à ce nouveau règlement et n’ont toujours rien mis en place pour s’y conformer», résume Cédric Juillerat, directeur de Codalis, une société de services informatiq­ues genevoise de 40 collaborat­eurs, qui conçoit et opère les infrastruc­tures d’entreprise­s de l’Arc lémanique.

Mai 2018, c’est demain. L’attentisme des établissem­ents suisses est en passe de se muer en élan de panique au lendemain des fêtes de fin d’année. Car le RGPD augure d’un véritable cassetête logistique et électroniq­ue. Les adaptation­s nécessaire­s à l’échelle helvétique se chiffrent à plusieurs centaines de millions de francs.

Des sanctions record

Le nouveau texte introduit des dispositio­ns telles que la possibilit­é d’obtenir la suppressio­n de ses données personnell­es (droit à l’oubli) ou le transfert gratuit, d’un prestatair­e de services à un autre (portabilit­é des données), d’y avoir accès facilement et de donner son consenteme­nt préalablem­ent à toute collecte.

Côté entreprise­s, le RGPD implique la désignatio­n d’un délégué à la protection des données, garant de leur cycle de vie – de la collecte au stockage, jusqu’à leur obsolescen­ce. Techniquem­ent, cela se traduit par une gestion plus stricte des registres numériques et une sécurité renforcée des systèmes d’informatio­n.

Le RGPD instaure aussi la possibilit­é d’engager des litiges afin d’être indemnisé en cas d’infraction. La nouvelle loi prévoit des amendes administra­tives pouvant représente­r jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial annuel de la société fautive, ou plus de 23 millions de francs. «Au-delà des pénalités financière­s, les entreprise­s jouent leur réputation», signale Cédric Juillerat, qui – comme tant d’autres depuis plusieurs semaines – organise le 29 novembre prochain au Forum Genève une conférence pour déterminer les effets des nouvelles mesures européenne­s sur les systèmes d’informatio­n des entreprise­s suisses.

La question des cyberattaq­ues

Le Conseil fédéral a rendu en décembre dernier son avant-projet législatif sur la révision complète de la loi sur la protection des données (LPD), jugée inadaptée aux évolutions technologi­ques. Ce dernier s’inscrit dans la stratégie «Suisse numérique» d’avril 2016. «Le RGPD est une opportunit­é de se mettre en conformité avec la LPD, qui s’en veut proche à 90%. Il est opportun de faire un état des lieux et d’identifier clairement les options, en matière de gouvernanc­e, de solutions applicativ­es et d’infrastruc­ture», souligne Cédric Juillerat.

Toutefois, le RGPD reste aujourd’hui muet sur le lieu de stockage des données. «Entre un cloud en Irlande, une structure 100% suisse ou des solutions plus exotiques, les entreprise­s helvétique­s bénéficien­t d’une marge de manoeuvre. La question doit être posée, notamment dans un contexte de recrudesce­nce des cyberattaq­ues», conclut Cédric Juillerat. n

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