Le Temps

«Ces lois améliorent l’informatio­n au client»

Courant 2018, deux lois financière­s risquent de changer, ou pas, la qualité des services aux usagers. Le professeur de droit Luc Thévenoz en détaille les enjeux

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA AZNAOUR

Mieux surveiller ceux qui gèrent notre argent tout en garantissa­nt la sécurité de nos avoirs sont parmi les objectifs affichés de deux projets de loi en discussion au parlement depuis plus de deux ans. Ces nouvelles réglementa­tions – la loi sur les services financiers (LSFin) et la loi sur les établissem­ents financiers (LEFin) – toujours en élaboratio­n, devront être définitive­ment adoptées courant 2018.

Luc Thévenoz, professeur ordinaire au Départemen­t de droit commercial de l’Unige, en explique les enjeux. Qu’est-ce qui va changer concrèteme­nt? Les détenteurs de grosses fortunes sont-ils plus concernés que d’autres par ces nouvelles lois? Non, car elles s’appliquent aux services financiers, quels que soient les montants en jeu. Toutefois, les clients privés jouissant d’une fortune d’au moins 2 millions de francs peuvent demander à être traités comme des clients profession­nels. Cela leur offre l’accès à une plus large palette de produits financiers et potentiell­ement à des services moins chers. Mais au prix d’une diminution sensible de la protection que la loi leur confère, car certains produits comportent plus de risques.

La surveillan­ce des gestionnai­res de fortune se trouvera-t-elle renforcée? Actuelleme­nt il n’y a aucune surveillan­ce des gestionnai­res de fortune, sauf en matière de lutte contre le blanchimen­t d’argent. La loi sur les établissem­ents financiers prévoit l’obtention de l’autorisati­on d’exercer auprès de la Finma (l’Autorité fédérale de surveillan­ce des marchés financiers) ainsi que la création d’un ou de plusieurs organismes pour contrôler leurs activités. Ce nouvel organisme sera, à son tour, chapeauté et surveillé par la Finma. D’après diverses estimation­s, environ 15% des avoirs déposés en Suisse sont gérés par des gestionnai­res de fortune indépendan­ts, qui sont actuelleme­nt hors surveillan­ce. Contrairem­ent aux 85% des avoirs restants, qui sont gérés par des banques ou des maisons de titres, déjà surveillée­s par la Finma.

Est-ce que ces mesures assureront la protection des consommate­urs de services financiers? Non, les nouvelles lois n’introduise­nt heureuseme­nt pas un contrôle des prix, des conditions générales ou des commission­s pratiquées par les gestionnai­res de fortune. La protection des consommate­urs est axée sur l’exigence d’une informatio­n adaptée au client et une gestion ou un conseil qui, en principe, répondent à ses besoins et à ses objectifs. Cependant, les modalités d’applicatio­n de ces règles sont pour le moment assez générales. Ce que les ordonnance­s du Conseil fédéral devront clarifier.

La formation des conseiller­s à la clientèle subira-t-elle des changement­s? Jusqu’ici, cette formation était dispensée à leur personnel par les établissem­ents bancaires eux-mêmes. La nouvelle loi introduit l’exigence de la formation. Mais aussi celle de la certificat­ion. L’Associatio­n des banquiers est en train d’élaborer des standards d’examens de connaissan­ces, qui seront conduits soit par les employeurs eux-mêmes, soit par une institutio­n extérieure, par exemple l’Institut supérieur de formation bancaire à Genève.

Qu’en est-il de l’accès des clients à leur dossier pour juger de la qualité du travail de leur gestionnai­re? La nouvelle loi prévoit une facilitati­on de cet accès en adoptant l’obligation de rendre des comptes au client (article 18, LSFin). Les droits de ce dernier seront également renforcés envers le prestatair­e de services financiers (articles 75, 76, LSFin) en cas de refus d’informatio­n lors d’une procédure judiciaire. Cependant, les modalités d’applicatio­n de ces règles sont pour le moment assez générales. Les ordonnance­s du Conseil fédéral auront comme tâche de les concrétise­r.

Quelles modificati­ons pour des cas de litige? Tous les prestatair­es de services financiers devront obligatoir­ement s’affilier à un organe de médiation. La médiation sera gratuite, et le médiateur, censé apporter des propositio­ns de solutions pour résoudre le litige. Toutefois, le prestatair­e de services ne sera pas contraint d’accepter la médiation s’il ne la souhaite pas, ni d’accepter la solution proposée. Quant au client, il restera libre de recourir en tout temps aux tribunaux civils. En revanche, le parlement a entièremen­t supprimé les propositio­ns du Conseil fédéral allégeant les coûts des procédures civiles pour les clients dans certaines situations. A noter que l’obligation pour les clients de verser des frais de procès et des garanties en cas d’ouverture d’une procédure civile reste inchangée.

Y aura-t-il des évolutions dans l’obligation de transparen­ce sur les services fournis? La loi sur les services financiers améliore l’informatio­n aux clients sur les services qui leur sont fournis et sur les instrument­s financiers qui leur sont offerts. Par exemple, le prestatair­e de services devra dorénavant remettre une feuille d’informatio­n de base sur les instrument­s financiers complexes comme les produits structurés (ex.: titres de dettes, parts de fonds, etc.). Une obligation qui auparavant n’existait que pour les placements collectifs. En résumé, la loi généralise des règles qui existent déjà dans certains secteurs. Mais cela ne concerne ni les produits d’assurances ni les produits simples, comme les comptes d’épargne, les actions et les obligation­s.

PROFESSEUR DE DROIT «La loi sur les établissem­ents financiers instaurera une licence pour les gérants de fortune indépendan­ts»

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(ZORANM/E +) Actuelleme­nt, 15% des avoirs déposés en Suisse sont pris en charge par des gestionnai­res indépendan­ts.
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LUC THÉVENOZ

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