Un an de paix et beaucoup d’incertitudes
Le 24 novembre 2016, les autorités colombiennes signaient un accord historique avec les FARC. Si la normalisation du pays prend forme, de nombreux îlots de violence subsistent néanmoins
Nul n’imaginait que le chemin de la Colombie vers une paix durable, ferme et définitive – selon la formule consacrée – serait aisé. Et il ne l’est pas. Un an après l’accord de paix historique signé le 24 novembre 2016 entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), ce pays grand comme deux fois la France, riche notamment en émeraudes, pétrole, or, café et charbon, ne sait toujours pas s’il est entré de plain-pied dans l’ère pacifiée tant attendue.
Une chose est sûre: la guérilla des FARC, ce groupe armé marxiste né en 1964 – et qui pendant un demisiècle a mené une guerre sans merci contre l’Etat colombien –, est définitivement sortie de la clandestinité pour devenir la FARC (Force alternative révolutionnaire du commun). «Nous avons abandonné définitivement la lutte armée et nous n’y reviendrons pas en dépit de toutes les adversités», a réaffirmé Rodrigo Londoño, ex-chef des FARC et candidat déclaré à la présidence colombienne, interrogé par la radio Caracol le 24 novembre.
Mieux encore, l’organisation a remis aux Nations unies en moyenne 1,3 arme par ex-combattant, ce qui est, selon les statistiques des organismes internationaux, un record mondial après un accord de paix. Poursuivons les bonnes nouvelles: en termes de violence générale, les indicateurs se sont largement améliorés depuis 2012, date du début des négociations avec les FARC: le temps des séquestrations est pour ainsi dire terminé, les extorsions, les victimes de mines antipersonnel, les disparitions forcées, les déplacements de population sont plus rares. Les homicides aussi ont globalement diminué sur la majorité du territoire colombien. Sauf que dans certaines régions, l’augmentation des assassinats de leaders sociaux et de défenseurs des droits de l’homme (au moins 94 entre le 24 novembre 2016 et le 31 octobre 2017, d’après la fondation Paz y Reconciliación) suscite d’immenses inquiétudes, et rappelle les heures noires du conflit.
Selon cette fondation, «environ 70 municipalités connaissent un regain de violence, au contraire de ce qui se passe dans le reste du pays». Les raisons sont multiples. D’autres groupes armés illégaux ont pris le contrôle des territoires abandonnés par les FARC. Notamment l’Armée de libération nationale (ELN), la deuxième guérilla colombienne, qui a entamé des négociations de paix en février dernier mais vient à peine de décréter un cessezle-feu unilatéral, et surtout le Clan du Golfe, un cartel de drogue issu de groupes paramilitaires dont les tentacules s’étendent dans une bonne partie du pays – et qui a annoncé vouloir négocier avec le gouvernement.
Amnesty International vient aussi d’exhorter le gouvernement à reconnaître l’existence permanente de groupes paramilitaires qui, sur certains territoires, oeuvrent encore main dans la main avec la force publique. Le bureau du défenseur du peuple dénonce pour sa part régulièrement des situations dramatiques comme, le 20 novembre dernier, les conditions humanitaires terribles dans lesquelles vivent 370 personnes déplacées provenant du village de San Juan, sur le littoral pacifique, et réfugiées depuis plusieurs semaines dans la ville de Buenaventura. Dans la région du Pacifique, à l’ouest du pays, stratégique sur la route des trafics et clé pour les ressources naturelles, les populations sont ainsi de nouveau plongées dans la terreur. Mais ce n’est pas la seule: l’Uraba au nord-ouest, le Catatumbo au nordest et même les Llanos de l’est connaissent un regain de violence.
La FARC répète de son côté de plus en plus souvent que «le gouvernement ne tient pas ses promesses». La nouvelle force politique affirme que la réintégration des ex-guérilleros prévue par les accords de paix, tout comme la réforme agraire, est pratiquement au point mort. La FARC déplore aussi l’assassinat de 32 ex-combattants ou membres de leur famille depuis la signature des accords.
Le Français Jean Arnault, chef de la Mission des Nations unies en Colombie, a exprimé sa préoccupation face à la lenteur de la mise en oeuvre de l’accord de paix et jeté un pavé dans la mare le 21 novembre en affirmant publiquement que 55% des combattants démobilisés avaient déjà quitté les 26 zones de réintégration, désillusionnés. Le gouvernement a rétorqué que cela ne signifiait pas que ces ex-guérilleros entraient en dissidence… Ce qu’ont confirmé les dirigeants des FARC, qui ont expliqué que certains partaient chercher du travail ailleurs faute d’avancées dans les projets productifs collectifs prévus par l’accord de paix, que d’autres retournaient dans leur famille et que d’autres encore, craignant pour leur vie, se mettaient à l’abri.
Le problème du trafic de drogue demeure l’un des plus grands défis pour l’établissement de la paix, sachant que la Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne et que les intérêts pour ce marché croissant et mondialisé sont innombrables dans et hors du pays… L’ambitieux plan de substitution des cultures illicites prévu par l’accord de paix en est à peine à ses balbutiements.
Enfin, le Congrès tarde à faire passer les réformes nécessaires à la transformation du pays. La campagne pour les élections législatives (mars 2018) et présidentielle (mai 2018) a déjà commencé et l’unité nationale qui prévalait au sein de la coalition gouvernementale avant la signature de la paix a volé en éclats, mettant par exemple en péril l’approbation de la loi statutaire de la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), un des piliers de l’accord de paix, qui doit être votée avant la fin du mois. Sans compter que la paix coûte cher: 44 milliards de dollars dans les quinze années à venir, selon le Ministère du budget.
▅
«Nous avons abandonné la lutte armée et nous n’y reviendrons pas» RODRIGO LONDOÑO, EX-CHEF DES FARC