«Ils regardent moins la télévision que leurs aînés»
Enseignant à l’Université de Genève, le sociologue spécialiste des médias Patrick Amey analyse la votation à l’aune de la fracture générationnelle
Comment expliquer que le comité d’initiative «No Billag» comporte autant de jeunes? Les jeunes sont marqués par une logique: au mieux, ils ne veulent payer que ce qu’ils consomment, au pire, ils souhaitent bénéficier du principe de gratuité qui s’observe sur YouTube ou encore avec la presse non payante. Pas étonnant dès lors que cette culture propre à leur socialisation les amène à s’interroger sur l’utilité de payer pour des programmes auxquels ils s’exposent très peu. Les chaînes concurrentes (françaises notamment) jouent aussi un rôle dans ce rejet du principe même de la redevance.
La votation peut-elle donc se lire sous le prisme d’une fracture générationnelle? En tout cas d’une fracture entre partisans du principe du consommateur-payeur et défenseurs d’un service public. Parmi les consommateurs-payeurs figurent nombre de jeunes s’exposant à des programmes de façon nomade, souvent depuis leur smartphone. De l’autre côté, les partisans du service public, jeunes ou moins jeunes, veulent pouvoir garantir des programmes dits de qualité. Ils tiennent aux émissions d’information ou aux débats qui entérinent un espace public et politique.
La nouvelle génération qui se détourne des médias traditionnels au profit d’Internet et des réseaux sociaux, mythe ou réalité? Ce n’est pas un mythe stricto sensu. Les jeunes (1219 ans) ne sont que 32% à regarder tous les jours la télévision, alors que 80% d’entre eux surfent quotidiennement sur Internet. Le volume d’écoute est relativement stable même si la tendance est à la baisse depuis 2010. Les jeunes regardent nettement moins les programmes du service public (10% de part de marché pour la RTS ces dernières années) que les autres catégories d’âge. Se pose de facto la question de l’adéquation des programmes avec les goûts et les pratiques des jeunes qui privilégient notamment les séries et les programmes divertissants. Un dilemme se dessine pour la SSR: soit maintenir la ligne éditoriale, et risquer la désertion d’une partie des jeunes, soit plaire à ces derniers à tout prix, et s’éloigner des missions du service public. Entre les deux, un juste compromis s’impose sans doute.
A quoi ressemblent les habitudes de consommation des jeunes? Les jeunes ont mis fin au «rituel» de la télévision fixe. Ils privilégient les expositions solitaires aux pratiques collectives, «rentabilisant» ainsi leur exposition aux contenus. Ils regardent plus volontiers les programmes en différé, en streaming, choisissent leurs programmes avec acuité et sont très sélectifs. Leur écoute est bien plus fragmentée que celle de leurs aînés, étant devenus les champions du multitasking, qui consiste à s’exposer à plusieurs médiums simultanément. La télévision peut donc servir de toile de fond à d’autres pratiques médiatiques, surfer sur Internet par exemple.
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«Un véritable dilemme se dessine pour la SSR»