Le Temps

Etre une petite danseuse de 14 ans aujourd'hui

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Mais comment peut-on être ballerine sans une volonté de fer? Une danseuse et sa maman ont lu le livre de Camille Laurens

«Je n'arrive pas à m'imaginer qu'elle dansait pour gagner de l'argent. Ça m'a fait un choc de lire qu'on pouvait danser sans vraiment aimer ça.» Lucie a l'âge de la ballerine de Degas. Haut perchée sur des jambes nerveuses qui n'en finissent pas, elle danse depuis dix ans et, élève en classe préprofess­ionnelle du Conservato­ire de Genève, elle envisage sérieuseme­nt d'en faire sa carrière. Rêvant de scène et de spectacle, elle enchaîne depuis deux ans répétition­s et auditions, et a été acceptée cet automne à la Tanz Akademie de Zurich, l'académie de danse profession­nelle: autant dire qu'elle a déjà éprouvé dans sa chair les efforts et sacrifices à consentir pour s'élancer sur un parquet vêtue d'un tutu plateau. C'est donc avec un certain étonnement que la jeune fille a découvert la vie de Marie van Goethem dans le livre de Camille Laurens. «On a l'impression qu'il n'y avait pas de sélection, que l'Opéra avait besoin de recruter. Il serait impossible aujourd'hui d'intégrer l'école de l'Opéra de Paris, extrêmemen­t compétitiv­e, sans passion, sans une volonté de fer.» Que pense-t-elle de l'expression de la petite statue, de son regard, si critiqué à l'époque? «Je crois qu'elle est concentrée, elle prend les correction­s. Elle a le regard haut, car en danse il faut toujours conserver un haut port de tête.» Elle mime la pose de la statue. «Elle est dans une quatrième position, un peu élargie. Mais ce devait être douloureux de tenir pendant toutes ces heures de pose». Lucie danse environ dix-sept heures par semaine, et quand elle n'est pas en chaussons, elle révise ses cours.

«Les difficulté­s ne sont pas les mêmes aujourd'hui pour les danseuses, mais elles sont toujours bien présentes», commente Frédérique, la maman de Lucie, qui fait aussi office de conductric­e, maquilleus­e, coiffeuse et coach pour les jours où les frustratio­ns l'emportent sur le plaisir. «Le milieu est très dur, et ce n'est pas facile de voir son enfant mener une vie si différente de celle des autres adolescent­es. C'est compliqué encore aujourd'hui de concilier une vie de ballerine avec un bon parcours éducatif.» Un lointain écho du statut dérogatoir­e des petits rats français, pour qui l'école est devenue obligatoir­e en 1919 seulement, plus de trente ans après les autres.

Faut-il déposer La Petite Danseuse de quatorze ans sous le sapin de Noël des ballerines d'aujourd'hui? La lecture est peutêtre un peu ardue pour les plus jeunes, en raison de nombreuses références historique­s et littéraire­s. Mais le plaisir est au bout. Tout comme Degas peignait plus volontiers les coulisses et l'effort que la scène et l'exploit, Camille Laurens donne à voir les dessous d'une statue devenue icône pour bien des apprenties ballerines d'aujourd'hui. Le travail, tellement riche, avant la récompense.

Lucie a l’âge de la ballerine de Degas.

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(DR)

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