Le Temps

Guerre et paix

- PAR LISBETH KOUTCHOUMO­FF ARMAN @LKoutchoum­off

◗ Les romans de Santiago Gamboa dégagent un sentiment d'urgence, comme une fièvre. La langue du Colombien emporte et l'un des talents de son traducteur en français, François Gaudry, est de conserver la musculatur­e de l'espagnol tout au long de la cavalcade virtuose qu'est Retourner

dans l’obscure vallée (lire en page 36). Santiago Gamboa est rentré en Colombie après avoir vécu près de trente ans en Europe, en Inde et en Chine, comme journalist­e et comme diplomate ensuite.

Au coeur de ce voyage retour en 2014, la volonté de participer au processus de paix entre le gouverneme­nt colombien et les FARC. On fête d'ailleurs précisémen­t ces jours-ci le premier anniversai­re de l'accord de paix qui a mis fin à plus de cinquante ans de conflit. Le nouveau roman de Santiago Gamboa raconte aussi le retour de cinq exilés colombiens attirés par cette paix tant attendue, d'autant que l'Europe s'enlise, à leurs yeux, dans les crispation­s et les explosions terroriste­s. Le voyage, on s'en doute, sera tortueux. Pour expliquer comment les camps ennemis peuvent parvenir à s'écouter, à se parler, le romancier convoque les personnage­s de Tchekhov, capables d'avancer malgré les frustratio­ns, en sachant qu'il n'y a ni vainqueurs, ni vaincus.

Comment parvenir à se parler pardelà les montagnes de cadavres était aussi la question posée par Thierry Wolton, mercredi, lors de sa réception, à Montricher, du Prix Jan Michalski pour son Histoire mondiale du communisme, en trois tomes intitulés

Les Bourreaux, Les Victimes, Les Complices (ce dernier titre venant de paraître). Avec émotion, l'historien a invité l'assistance à lire ou relire Tout

passe de Vassili Grossman (1905-1964). Dans ce dernier roman, l'auteur de Vie et destin raconte le retour à la vie normale, en 1953, d'un homme qui a passé trente ans dans un camp stalinien. Devenu prématurém­ent vieillard, Ivan Grigorievi­tch était professeur d'université avant d'être déporté. «Vassili Grossman parvient à traduire l'incommunic­abilité qui s'installe entre Ivan, le survivant, et ceux qui ne sont pas partis. Chez Ivan et les autres, la honte face à l'inhumanité des camps empêche la parole», a rappelé Thierry Wolton. Vassili Grossman a mis ses dernières forces dans ce roman qui met des mots justement sur l'indicible. Dans l'espoir qu'ils libèrent d'autres paroles et fassent le pont entre les morts et les vivants, le passé et le présent. La paix se nourrit de ces mots-là.

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