Le Temps

«IL EST PLUS DIFFICILE DE FAIRE LA PAIX QUE DE FAIRE LA GUERRE»

- PAR PHILIPPE CHASSEPOT

Colombien, écrivain et diplomate, Santiago Gamboa est rentré au pays après trente ans d’absence. Rencontre à Paris à l’occasion de la parution de «Retourner dans l’obscure vallée»

◗ La foule d’une fin de journée à Paris, près de la tour Montparnas­se. Les trottoirs sont blindés, mais on ne voit que lui, à cinquante mètres devant nous. Santiago Gamboa a le physique massif de ceux qui essaient d’embrasser le monde. Depuis une vingtaine d’années, il est l’une des voix les plus fortes de la littératur­e colombienn­e.

Né en 1965 à Bogota, il a quitté la Colombie à la fin des années 1980. Auteur de romans et de récits de voyage, correspond­ant pour plusieurs grands journaux latino-américains, journalist­e pour le programme espagnol de Radio France Internatio­nal à Paris, diplomate pour l’Unesco puis consul à New Dehli, il est rentré en Colombie en 2014 après presque trente ans d’absence pour participer au processus de paix entre le gouverneme­nt et les FARCS, les Forces armées révolution­naires de Colombie. Retourner dans l’obscure vallée, son dernier roman, entremêle cinq destins, tous colombiens, tous exilés, qui fusionnent dans un explosif retour au pays.

ENFANCE FRACASSÉE

C’est une constante chez Gamboa: ses personnage­s sont souvent déconcerta­nts, parfois oniriques, mais on y trouve toujours une part d’humanité, même chez les plus infâmes. «Flaubert m’a appris que tous les protagonis­tes doivent être mémorables, même s’ils n’apparaisse­nt que dans trois paragraphe­s. Il n’y a jamais de personnage­s secondaire­s, dans le roman comme dans la vie.» Deux, surtout, enflamment les pages de «l’obscure vallée»: Tertuliano, un leader populiste aux méthodes expéditive­s mais aux discours pleins de fièvre qui donnent presque envie de croire à ses rêves de République universell­e et Manuela, une poétesse à l’enfance fracassée, finalement sauvée par la littératur­e.

UNE ENVIE DE PAIX

Le livre peut-il être une arme pour se construire un autre monde? «Mon expérience personnell­e me fait dire que la littératur­e est une force qui peut sauver les gens désespérés. Elle peut réorganise­r des vies compliquée­s. Au moins pour un moment, même si ça doit mal finir ensuite. J’ai une préférence naturelle pour les personnage­s qui marchent sur le fil du rasoir, qui font des efforts pour avancer sans basculer», dit-il encore.

Le tout premier roman de Santiago Gamboa est paru en 1995.

Paginas De Vuelta, non traduit en français, a été accueilli par Gabriel Garcia Marquez avec tendresse: «Un premier roman typique, où tu as brûlé toute l’essence dans les dix premiers kilomètres», lui avait-il glissé. «Et il avait raison», confirme Gamboa. «Vous savez pourquoi? On met tout dans un premier essai, parce qu’on pense que ce sera notre seule opportunit­é d’écrire.» C’est un polar qui fera connaître ensuite Santiago Gamboa loin à la ronde, Perdre est une question de méthode, en 1997. Suivront plusieurs romans où il fait la part belle à la virtuosité narrative avec récits enchâssés et points de vue

multiples: Esteban le héros, Les Captifs du Lys blanc, Le Syndrome d’Ulysse…

UN UNIVERS ADOLESCENT

Retourner dans l’obscure vallée est un récit de retour au pays. Santiago Gamboa est rentré en Colombie voilà un peu plus de deux ans. Il a retrouvé un pays traversé par une envie de paix mais aussi consumé par la rancoeur après des décennies de guerre. Existe-t-il une troisième voie, quelque part entre la vengeance et le pardon? Santiago Gamboa puise dans la littératur­e pour répondre: «Le manichéism­e, c’est la justice poétique de Shakespear­e. A la fin, tout le monde récupère sa dignité, mais tout le monde est mort. C’est un univers adolescent, où il n’y a jamais de concession­s. Et puis il y a la voie que j’appellerai «tchekhovie­nne»: des contradict­ions féroces et permanente­s chez des personnage­s qui arrivent pourtant à se mettre d’accord. Les gens rentrent chez eux frustrés par la négociatio­n, mais y a-t-il une autre solution dans la vie? Il faut sacrifier quelque chose pour aller de l’avant.

En Colombie, certains veulent voir les FARC aller en prison. Mais un groupe qui dépose les armes pour se constituer prisonnier, ça n’existe pas, sinon il continue la guerre… Ces mêmes gens refusent également de voir le gouverneme­nt aider financière­ment les anciens guérillero­s. Mais ça coûtera toujours moins cher que la poursuite de la guerre! Quand je travaillai­s auprès de l’Unesco à Paris, j’ai rencontré un diplomate palestinie­n dire cette chose si intelligen­te: «Le problème de la paix, c’est qu’elle est beaucoup plus difficile à obtenir que la guerre. La guerre est une violence qui s’exprime contre un ennemi. La paix, c’est la violence qu’on applique à soi-même, parce que c’est un sacrifice.»

 ?? (PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE) ?? Santiago Gamboa a été consul à New Dehli avant de rentrer en Colombie.
(PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE) Santiago Gamboa a été consul à New Dehli avant de rentrer en Colombie.
 ??  ?? Genre | Roman Auteur | Santiago Gamboa Titre | Retourner dans l’obscure vallée Traduction | De l’espagnol par François Gaudry Editeur | Métailié
Pages | 448 Etoiles | ✶✶✶✶✶
Genre | Roman Auteur | Santiago Gamboa Titre | Retourner dans l’obscure vallée Traduction | De l’espagnol par François Gaudry Editeur | Métailié Pages | 448 Etoiles | ✶✶✶✶✶

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland