ET SI DIEU ÉTAIT ASSEZ GRAND POUR SE DÉBROUILLER SEUL?
Delphine Horvilleur, rabbin, et Rachid Benzine, islamologue, dialoguent de façon critique et fraternelle sur leur vécu de croyant
◗ Elle est rabbin, lui un ancien boxeur qui s’est formé à l’exégèse coranique avec, entre autres, Mohammed Arkoun, et est chercheur associé à la Faculté de théologie protestante de Paris. Auteurs l’un et l’autre de plusieurs ouvrages, Delphine Horvilleur et Rachid Benzine s’inscrivent de façon critique dans une tradition religieuse dont ils ont fait le centre de leur existence. Ils s’expliquent sur leur stratégie dans un passionnant dialogue orchestré par le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel.
Identité, loi, histoire, laïcité, place des femmes: la conversation aborde un peu tous les sujets du jour pour en revenir avec régularité à la question fondamentale du texte, de son statut et de ses usages. Un texte où chercher une vérité transcendante ou au moins une parole-guide, mais qu’on sait par ailleurs façonné par l’histoire. Il faut savoir parfois lui faire violence, dit Delphine Horvilleur, il n’existe que pour être partagé au sein d’une communauté et résonner dans le coeur de croyants engagés dans leur époque, fait écho Rachid Benzine. Et tous deux s’accordent pour ne pas le considérer comme un dépôt immuable mais comme une invitation à la confrontation.
Exprimées en termes simples et imagés, ces convictions partagées déroulent des stratégies finalement très simples pour résister à la dérive identitaire et au fondamentalisme. Rester modeste – nul ne peut présumer de la supériorité de sa foi – et assumer sa responsabilité humaine: l’usage de la raison et de l’interprétation. Ce qui revient, au bout du compte, à faire confiance à Dieu – à se placer sans restriction sous sa protection, le sens même du mot islam, dit Rachid Benzine. Dieu, pas plus que sa parole, n’a besoin de gardiens et le plus grand blasphémateur n’est peut-être pas celui qui moque un dieu dans lequel il ne croit pas mais celui qui, croyant, pense que ce dieu est assez faible ou vaniteux pour avoir besoin d’être protégé contre la moquerie…