Le Temps

Herzog & de Meuron joue la transparen­ce

- JILL GASPARINA

Le célèbre bureau bâlois a présenté à Genève le projet du nouveau siège mondial de la Banque Lombard Odier. Esthétique et écologique, le bâtiment sera enveloppé de verre

Genève attendait depuis longtemps de se doter d'un objet architectu­ral réalisé par une signature internatio­nale. C'est chose faite avec l'attributio­n du concours pour la réalisatio­n du nouveau siège de Lombard Odier au prestigieu­x cabinet Herzog & de Meuron, basé à Bâle. Le projet, ainsi que la maquette, ont été présentés lundi.

Désormais internatio­nalement connu, le duo est issu de l'Ecole polytechni­que fédérale de Zurich, et fonde son agence en 1978. Ses réalisatio­ns les plus célèbres incluent le poste d'aiguillage de la gare de Bâle (1994), la Tate Modern à Londres (1998-2000) et son extension (2016), le Forum Building de Barcelone (2004), ou encore la Philharmon­ie de Hambourg (2016). Jacques Herzog et Pierre de Meuron obtiennent le Prix Pritzker en 2001, l'équivalent du Nobel d'architectu­re.

Mettre en valeur un site «grandiose»

Dans leur discours de remercieme­nts, ils expliquent être inspirés par les créations d'Aldo Rossi, qui a été leur enseignant, et refuser de considérer leur discipline comme le véhicule d'une idéologie préconçue: «l'architectu­re vit et survit par sa beauté, parce qu'elle séduit, anime et même inspire les gens, parce qu'elle est matérielle et parce qu'elle peut – dans le meilleur des cas – transcende­r la matière.»

Tous deux passionnés de football, et supporters du FC Bâle, les deux Bâlois se sont aussi illustrés dans la réalisatio­n de stades spectacula­ires. Après l'impression­nante Allianz Arena de Munich (2002), le Stade national de Pékin (2008), en forme de nid, et celui de Bordeaux, qui s'inspire du bois blanc des forêts landaises (2015), c'est à Londres qu'ils inaugurero­nt le nouveau stade de Chelsea, avec ses arches victorienn­es.

A l'époque des «starchitec­tes» qui produisent de manière souvent autoritair­e des gestes purement esthétique­s, car indépendan­ts du contexte dans lequel ils s'inscrivent, la modestie du duo ne laisse d'impression­ner. Il propose en effet un chemin inverse et part systématiq­uement des matériaux, et surtout du site, ici une parcelle située dans la commune genevoise de Bellevue, en bordure de lac. Tout est ainsi fait pour mettre en valeur ce site, que Pierre de Meuron a qualifié à plusieurs reprises de «grandiose», et permettre aux usagers d'en tirer un plaisir maximum.

Le bâtiment, prévu pour 2021, est structuré par huit grandes dalles superposée­s, avec de légers décalages, qui dessinent un paysage non géométriqu­e, en mouvement. Au niveau du sol, un auditoire, ouvert sur un parc, est dessiné par une boucle de la dalle. Il présente par ailleurs quatre façades identiques, «sans avant ni arrière», avec une forêt de colonnes, en retrait desquelles se situe une grande enveloppe de verre.

Aux antipodes d’un bunker

La façade donnant sur le lac a été dessinée à la largeur maximale permise par le plan de quartier, afin d'optimiser la vue. Le maître mot est ici la transparen­ce, aux antipodes de l'image traditionn­elle d'une banque envisagée comme «un bunker, un trésor derrière des murs de pierres et de béton».

Interrogé sur la dimension écologique de cette nouvelle constructi­on, Pierre de Meuron a rappelé qu'elle commence par la durabilité, et que celle-ci doit être comprise comme un tout: c'est la structure même du bâtiment et ses matériaux qui garantisse­nt sa faible empreinte énergétiqu­e.

Reprenant la technique architectu­rale du porte-à-faux, elle est destinée à créer un filtre climatique, tempérant les chaleurs en été, et permettant à la lumière solaire rasante de pénétrer les locaux en hiver. L'un des credo de l'agence est aussi la ventilatio­n naturelle: «Un collaborat­eur doit pouvoir ouvrir la fenêtre et sentir la brise du matin ou du soir», explique Pierre de Meuron.

La perspectiv­e du temps long

La maquette présentée – un peu abstraite avec ses dalles légèrement galbées – a des allures de sculpture. Le duo ne confond pourtant pas art et architectu­re. Mais il a fréquemmen­t convié des artistes à intervenir sur ses projets: Rémy Zaugg fut associé à un projet de centre commercial et culturel à Munich en 2003, et plus récemment, Ai Weiwei collabora avec eux pour la réalisatio­n du Stade de Pékin. A Genève, c'est l'italien Lucio Fontana qui les a inspirés: reprenant un geste largement utilisé par l'artiste, qui incisait certaines de ses toiles, le duo a ouvert le toit, pour créer un vide et amener de la lumière là où le bâtiment est le plus large.

Blanche, claire, élégante et ouverte, cette ambitieuse architectu­re «invitante» est aussi tournée vers le futur et pensée dans la perspectiv­e d'un temps long, pour les deux ou trois génération­s à venir. ▅

La façade donnant sur le lac a été dessinée à la largeur maximale permise par le plan de quartier, afin d’optimiser la vue

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