Jean-Luc Romero, le combat d’un politicien contre les préjugés autour du sida
Premier élu français à avoir annoncé sa séropositivité, ce politicien est un ardent militant de la lutte contre le sida et du droit de mourir dans la dignité. Il se confie notamment dans un livre, «Portraits de VI(H)ES», à paraître le 1er décembre
C’était en mai 2002. Depuis, Jean-Luc Romero ne s’est plus jamais tu. Ce virus qui se loge en lui, qui se nourrit de clandestinité, de la peur de se faire démasquer, agit depuis trop longtemps comme un carcan qui le contraint au silence. Un silence qui l’affaiblit et l’étouffe chaque jour un peu plus.
Il y a 15 ans déjà, le conseiller régional d’Ile-de-France et maire adjoint du XIIe arrondissement de Paris sent qu’il est temps de crier sa vérité. Malgré les réticences de son entourage, Jean-Luc Romero devient le premier élu français à parler ouvertement de sa séropositivité. Une annonce qui résonne aujourd’hui encore comme une évidence pour ce militant de la première heure de la lutte contre le sida.
«Je ne pouvais plus continuer à proclamer partout que le VIH n’était pas une maladie honteuse et dans un même temps cacher le fait que j’en étais atteint, se souvient le créateur d’Elus locaux contre le sida, association combattant, depuis 1995, les injustices frappant les personnes touchées par le virus. En le disant publiquement, je me suis immédiatement senti libéré d’un poids, cela m’a également apporté de la force et de la crédibilité, surtout vis-à-vis des malades que je rencontrais et qui souvent me répétaient que je ne pouvais pas réellement comprendre ce qu’ils enduraient.»
Insouciance de courte durée
A la mi-novembre, dans son hôtel genevois où il est présent pour participer à une table ronde de la Croix-Rouge sur le VIH, JeanLuc Romero se confie avec pudeur. Il évoque sa jeunesse dans le Nord-Pas-de-Calais, à Béthune, ville qui l’a vu naître et grandir. Enfant de modestes ouvriers espagnols ayant fui le franquisme, il apprend rapidement le sens de l’engagement. Déjà il se mobilise, pour aider notamment les enfants défavorisés en Afrique. Déjà, il sait qu’il est «différent», et que cette différence sera difficile à assumer dans un environnement catholique et conservateur.
Très tôt aussi, il prend conscience de la fragilité de l’existence. «J’ai vu mon père s’éteindre d’un cancer sous mes yeux lorsque j’avais 13 ans. Plus tard, alors que j’avais 23 ou 24 ans, il ne se passait pas une semaine, parfois même un jour, sans que j’apprenne la disparition d’un proche ou d’une relation atteints du sida. Dans un sens, ce contact permanent avec la mort a été une chance. Celle de réaliser l’importance de faire davantage attention aux gens que l’on aime.»
A 21 ans, Jean-Luc Romero quitte le Nord pour poursuivre ses études à l’Université de Paris-II Assas, où il intègre une maîtrise en droit public. Bénévole à Fréquence gaie, il découvre l’effervescence des nuits parisiennes, l’euphorie de ces années où le débat sur la dépénalisation de l’homosexualité prend enfin corps. Mais l’insouciance est de courte durée. Le 25 septembre 1987, la nouvelle tombe, comme une sentence irrévocable. Son médecin lui apprend sa séropositivité. Ce virus qu’il a contracté avec son premier grand amour deux ans plus tôt, qui a emporté ses amis, le ronge à son tour. «A 28 ans, on se croit invincible, immunisé contre la mort. Ce jour-là, ma vie a basculé.» Parmi ses proches, Jean-Luc Romero est le premier à se faire dépister. «Tant d’autres sont tombés dans la maladie sans même le savoir.»
Celui qui est aujourd’hui également président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité bénéficie rapidement d’un traitement par AZT, un antirétroviral actif contre le VIH. «Durant plusieurs années, j’ai totalement vécu au rythme de la maladie. Jour et nuit, je devais me lever toutes les quatre heures pour prendre mes comprimés. Les effets secondaires
étaient importants, cela a notamment déclenché un diabète, mais cela m’a permis de tenir jusqu’à l’arrivée des premières trithérapies. C’est ce qui m’a sauvé.»
Traité comme un animal dangereux
A cette époque, la presse parle de «cancer gay», de «sida mental». Jean-Marie Le Pen stigmatise durablement les malades en les qualifiant, lors d’une intervention télévisée, de «terriblement contagieux», déclarant possible une transmission du virus par la salive, les larmes ou encore la transpiration. C’est le temps de tous les fantasmes autour de cette affection, dont certains perdureront longtemps encore. «A l’hôpital, j’ai été traité comme un animal dangereux. Le personnel soignant refusait d’entrer dans les chambres, laissait nos plateaux-repas à l’extérieur. Comment garder espoir lorsqu’on reçoit de telles gifles?»
Depuis 2010, Jean-Luc Romero n’a plus de charge virale détectable, mais le combat ne s’arrête pas pour autant. «Comme aujourd’hui on ne voit plus les gens mourir, on a l’impression que la pandémie VIH est bien moins grave. C’est faux. Plus de 3300 malades meurent encore chaque jour du sida dans l’indifférence de la communauté internationale. Seules 17 millions de personnes bénéficient d’un traitement, il y a de terribles inégalités entre les pays riches et les pauvres, alors qu’on sait qu’il suffirait de 36 milliards de dollars par an pour éviter la plupart de ces décès et faire disparaître la contamination du VIH en 2030, qui est l’objectif d’Onusida.»
Jean-Luc Romero a décidé de ne plus jamais se taire. Cette fois pour briser les derniers tabous et préjugés autour du sida, pour faire tomber les ultimes remparts autour de cette réalité sur laquelle on n’ose pas toujours poser les yeux.
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