Le Temps

Pourquoi il faut refuser «No Billag», par Claude Torracinta

- CLAUDE TORRACINTA, JOURNALIST­E

J’ai consacré l’essentiel de ma carrière profession­nelle à la télévision. J’ai collaboré à la SSR pendant plus de trente ans. Je connais bien cette entreprise, ses défauts comme ses qualités. Je n’ignore pas sa lourdeur administra­tive et trouve légitime d’exiger d’elle la preuve d’une gestion rigoureuse. Je reconnais qu’on a pu lui reprocher une certaine arrogance et sa difficulté à se réformer. Je sais aussi que son attitude à l’égard des médias privés a pu agacer. Mais aucune de ces critiques ne justifie qu’une majorité de citoyens approuve sa disparitio­n en acceptant l’initiative «No Billag». Aucune ne justifie qu’on la réduise à devenir un simple fournisseu­r de contenus et de renoncer à ses missions.

Ce qui frappe est le caractère émotionnel de ce débat depuis quelque temps, particuliè­rement en Suisse alémanique, et la variété des reproches faits à la SSR. Elle est devenue le bouc émissaire commode des difficulté­s et des frustratio­ns du temps. N’ai-je pas entendu un partisan de l’initiative justifier son vote par la hausse des primes de son assurance maladie!

De fait les motivation­s des adversaire­s de la SSR sont multiples et leur coalition hétéroclit­e. Pour les uns, voter oui le 4 mars, c’est protester contre le choix des programmes. Trop de sport. Pas assez de sport. Trop de séries américaine­s. Pas assez d’émissions culturelle­s, etc. Pour d’autres, c’est le montant de la redevance qui explique leur décision, ou le refus de payer pour des émissions qu’ils disent ne pas regarder. Sans parler de ceux qui rêvent d’une SSR affaiblie et voient dans cette votation l’occasion de s’en prendre à l’idée même de service public sous prétexte d’orthodoxie libérale et des vertus de la concurrenc­e.

Or, dans une société qui se fragmente et sur un marché de l’audiovisue­l aussi modeste que la Suisse – et c’est encore plus vrai pour la Suisse romande – seul un service public fort peut concurrenc­er les chaînes étrangères et, avec les radios et télévision­s locales, exprimer la réalité de ce pays. Seul, il est capable de résister à la déferlante d’images et de sons venus d’ailleurs.

Le plus étrange est que les mêmes qui parlent sans cesse de souveraine­té nationale et de strict contrôle des frontières sont prêts à faire cadeau du marché suisse de l’audiovisue­l à Google, Facebook, YouTube et autres groupes internatio­naux. Croient-ils vraiment que ces opérateurs s’intéresser­ont à nos débats politiques, à nos élections cantonales et à notre vie culturelle? Affaiblir la SSR, c’est accepter que notre informatio­n dépende pour l’essentiel de médias étrangers. C’est renoncer à l’exigence d’une radio et d’une télévision de qualité au profit du moins-disant culturel et de l’insignifia­nt.

On me dira que mon regard est partisan, après tant d’années passées devant les caméras. C’est vrai. Mais cette proximité me permet d’être conscient des véritables enjeux de cette votation. Des enjeux qui vont bien au-delà du montant de la redevance ou de son mode de perception. C’est la politique suisse de l’audiovisue­l qui sera en jeu en mars prochain.

De ce fait, le citoyen que je suis s’inquiète du tournant pris par ce débat et des passions qu’il suscite. Affirmer qu’on ne peut obliger les gens à payer une redevance pour un service qu’ils n’utilisent pas, c’est faire preuve d’égoïsme. Vais-je demander que mes impôts ne financent pas des crèches et des écoles que je n’utilise pas?

Les programmes de la radio et la télévision de service public renforcent la solidarité nationale. Refuser la redevance au nom du principe de ne payer que ce qu’on consomme, c’est renoncer à leur fonction d’intégratio­n. C’est oublier que la Suisse romande et le Tessin seraient les premières victimes d’un démantèlem­ent de la SSR.

Dans un pays aussi divers que la Suisse, la SSR est un élément majeur de notre souveraine­té dans la mesure où, avec les télévision­s et les radios locales, elle nourrit le débat démocratiq­ue et favorise le vivre ensemble.

Au lendemain de l’acceptatio­n par le peuple, à une faible majorité, de l’initiative sur l’immigratio­n de masse, nombreux sont ceux qui ont regretté la mollesse de la campagne des adversaire­s de l’UDC. Ne répétons pas cette erreur. Mobilisons-nous pour convaincre les électeurs de la nécessité de refuser «No Billag». Qu’il faille redéfinir la notion du service public, débattre du montant de la redevance ou des rapports de la SSR avec les éditeurs privés est une chose. Mais la condamner à disparaîtr­e serait irresponsa­ble.

Affaiblir la SSR, c’est accepter que notre informatio­n dépende pour l’essentiel de médias étrangers

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