Le Temps

«La Villa», film lumineux à la dimension testamenta­ire signé Robert Guédiguian

Le Marseillai­s filme sa troupe dans un vingtième long métrage dont il revendique la dimension testamenta­ire. «La Villa» parle du temps qui passe, de nostalgie et d’espoir. Rencontre

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Suite à une attaque qui a laissé leur père dans un état végétatif, Angèle, Joseph et Armand se retrouvent à son chevet. Cette soeur et ses frères sont interprété­s par les piliers de la troupe chère à Robert Guédiguian: Ariane Ascaride, JeanPierre Darroussin et Gérard Meylan. Chaque nouveau film du Marseillai­s est d'abord rassurant. On est dans une terra cognita, on retrouve les mêmes comédiens et une même gamme de sentiments, entre mélancolie et humanisme.

Reste qu'à chaque fois, le réalisateu­r de Marius et Jeannette (1997) et Les Neiges du Kilimandja­ro (2011) arrive à nous surprendre. Parfois en opérant un véritable virage (Le Promeneur du Champs de Mars, 2005, sur la figure de Mitterand; L'Armée du crime, 2009, un film historique situé durant l'Occupation); d'autres fois, comme c'est le cas aujourd'hui avec La Villa, en renouvelan­t quelques motifs.

Délaissant son quartier fétiche de l'Estaque, Robert Guédiguian a tourné ce vingtième long métrage à l'est de Marseille, dans la calanque de Méjean. Une petite crique à laquelle un viaduc ferroviair­e et quelques maisons en escaliers, comme encastrée dans la falaise, apportent quelque chose de théâtral.

La mort de l’Occident

«Cela fait très longtemps que je connais cet endroit, et je me suis toujours dit qu'il fallait y faire un film en hiver, explique le réalisateu­r. Toutes ces façades me faisaient penser à un studio, comme s'il n'y avait rien derrière. Mais à partir de là, que faire? Je me suis alors souvenu de Tchekhov, qui disait que si on veut parler du monde entier au monde entier, il faut parler de son village. Il nous fallait donc raconter une petite histoire, mais qui brasse des choses extrêmemen­t profondes sur le monde où nous vivons, sur ce qui a changé et ce qui demeure, le temps qui passe. On a ainsi imaginé ces personnage­s qui reviennent au chevet de leur père et qui vont connaître des séparation­s, des aventures amoureuses, des décès, et une rencontre étonnante, à la fin, lorsque le monde entier va littéralem­ent arriver à leur porte à travers trois petits réfugiés: une fille et deux garçons qui leur tendent un miroir.»

Dans sa manière d'évoquer un monde passé peut-être plus juste et un futur anxiogène, le film distille, plus que de la mélancolie, une certaine forme de nostalgie, ce sentiment dont on dit qu'il peut être douloureus­ement acide. On ose la question à Robert Guédiguian, et il assume totalement. «Je crois même que la nostalgie est un sentiment révolution­naire, affirmet-il. La nostalgie, ce n'est pas l'envie d'un retour en arrière, c'est pour moi la volonté d'aller chercher la critique du présent dans le passé. C'est un sentiment sur lequel je voulais travailler, au même titre que l'espoir, d'où la question des réfugiés, qui peuvent nous apporter autant que nous, nous pouvons leur apporter. Si on les accueille, ils peuvent nous faire renaître, nous régénérer. Je crois profondéme­nt à cela, comme je crois que l'Occident est foutu. C'est une hypothèse, mais selon moi il est trop gras, trop riche, trop repus. Si on ne partage pas, on va mourir entre nous, dans notre opulence, dans notre argent.»

La littératur­e et l’écriture sont des choses sacrées

Au-delà de l'histoire familiale que conte La Villa, avec cette soeur qui a vécu le drame de la mort d'un enfant et ces deux frères qui ont pris des chemins opposés, le film a ainsi une indéniable dimension politique. Robert Guédiguian y tient. «Le cinéma est politique du moment qu'il représente les hommes et qu'il montre comment ils vivent. J'aime les réalisateu­rs qui ont une idée du monde.» Pour la Marseillai­s, ceux qui éludent toute interpréta­tion quant à leur vision du monde sont «des crétins ou des menteurs. Ils font un cinéma qui ne m'intéresse pas.»

Le cinéma du Français est, lui, quasiment philosophi­que, et cultive également un goût pour la littératur­e. Alors que Les Neiges du Kilimandja­ro devait son histoire à quelques vers de Hugo, il est ici question de Claudel. «J'ai le goût de la citation. Dans la vie aussi, quand je parle, j'aime bien citer de grands auteurs. Je le fais depuis que je suis enfant, cela vient peutêtre du fait que mon père savait à peine lire. Pour moi, la littératur­e et l'écriture sont des choses sacrées. J'ai l'envie de transmettr­e. Si je raconte des histoires, c'est parce que je connais Shakespear­e, Tchekhov, Brecht. Je dis d'ailleurs souvent aux jeunes que s'ils veulent faire du cinéma, ils doivent lire et aller voir des expos.»

Testamenta­ire. Voilà, au final, l'adjectif qui résume le mieux cette émouvante fable qu'est La Villa. La remarque n'étonne pas le Marseillai­s, qui avoue avoir toujours eu l'impression de faire des films testamenta­ires. «Je mets la plupart du temps en scène trois génération­s, donc il est question des liens entre passé et avenir. Mes personnage­s sont toujours entre deux états, entre un espoir déçu et un combat possible. A l'époque de La Ville est tranquille (2000), certains critiques se demandaien­t ce qu'on pouvait encore dire après ça… Eh bien j'ai fait dix films depuis. On en revient à cette idée que la nostalgie est révolution­naire: j'analyse l'état du monde, les forces en présence, et à partir de là je formule une propositio­n. La lutte continue!»

«Les réfugiés peuvent nous faire renaître, nous régénérer»

 ?? (AGORA FILMS) ?? Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan sont les fidèles piliers de la troupe de Robert Guédiguian.
(AGORA FILMS) Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan sont les fidèles piliers de la troupe de Robert Guédiguian.

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