«La Villa», film lumineux à la dimension testamentaire signé Robert Guédiguian
Le Marseillais filme sa troupe dans un vingtième long métrage dont il revendique la dimension testamentaire. «La Villa» parle du temps qui passe, de nostalgie et d’espoir. Rencontre
Suite à une attaque qui a laissé leur père dans un état végétatif, Angèle, Joseph et Armand se retrouvent à son chevet. Cette soeur et ses frères sont interprétés par les piliers de la troupe chère à Robert Guédiguian: Ariane Ascaride, JeanPierre Darroussin et Gérard Meylan. Chaque nouveau film du Marseillais est d'abord rassurant. On est dans une terra cognita, on retrouve les mêmes comédiens et une même gamme de sentiments, entre mélancolie et humanisme.
Reste qu'à chaque fois, le réalisateur de Marius et Jeannette (1997) et Les Neiges du Kilimandjaro (2011) arrive à nous surprendre. Parfois en opérant un véritable virage (Le Promeneur du Champs de Mars, 2005, sur la figure de Mitterand; L'Armée du crime, 2009, un film historique situé durant l'Occupation); d'autres fois, comme c'est le cas aujourd'hui avec La Villa, en renouvelant quelques motifs.
Délaissant son quartier fétiche de l'Estaque, Robert Guédiguian a tourné ce vingtième long métrage à l'est de Marseille, dans la calanque de Méjean. Une petite crique à laquelle un viaduc ferroviaire et quelques maisons en escaliers, comme encastrée dans la falaise, apportent quelque chose de théâtral.
La mort de l’Occident
«Cela fait très longtemps que je connais cet endroit, et je me suis toujours dit qu'il fallait y faire un film en hiver, explique le réalisateur. Toutes ces façades me faisaient penser à un studio, comme s'il n'y avait rien derrière. Mais à partir de là, que faire? Je me suis alors souvenu de Tchekhov, qui disait que si on veut parler du monde entier au monde entier, il faut parler de son village. Il nous fallait donc raconter une petite histoire, mais qui brasse des choses extrêmement profondes sur le monde où nous vivons, sur ce qui a changé et ce qui demeure, le temps qui passe. On a ainsi imaginé ces personnages qui reviennent au chevet de leur père et qui vont connaître des séparations, des aventures amoureuses, des décès, et une rencontre étonnante, à la fin, lorsque le monde entier va littéralement arriver à leur porte à travers trois petits réfugiés: une fille et deux garçons qui leur tendent un miroir.»
Dans sa manière d'évoquer un monde passé peut-être plus juste et un futur anxiogène, le film distille, plus que de la mélancolie, une certaine forme de nostalgie, ce sentiment dont on dit qu'il peut être douloureusement acide. On ose la question à Robert Guédiguian, et il assume totalement. «Je crois même que la nostalgie est un sentiment révolutionnaire, affirmet-il. La nostalgie, ce n'est pas l'envie d'un retour en arrière, c'est pour moi la volonté d'aller chercher la critique du présent dans le passé. C'est un sentiment sur lequel je voulais travailler, au même titre que l'espoir, d'où la question des réfugiés, qui peuvent nous apporter autant que nous, nous pouvons leur apporter. Si on les accueille, ils peuvent nous faire renaître, nous régénérer. Je crois profondément à cela, comme je crois que l'Occident est foutu. C'est une hypothèse, mais selon moi il est trop gras, trop riche, trop repus. Si on ne partage pas, on va mourir entre nous, dans notre opulence, dans notre argent.»
La littérature et l’écriture sont des choses sacrées
Au-delà de l'histoire familiale que conte La Villa, avec cette soeur qui a vécu le drame de la mort d'un enfant et ces deux frères qui ont pris des chemins opposés, le film a ainsi une indéniable dimension politique. Robert Guédiguian y tient. «Le cinéma est politique du moment qu'il représente les hommes et qu'il montre comment ils vivent. J'aime les réalisateurs qui ont une idée du monde.» Pour la Marseillais, ceux qui éludent toute interprétation quant à leur vision du monde sont «des crétins ou des menteurs. Ils font un cinéma qui ne m'intéresse pas.»
Le cinéma du Français est, lui, quasiment philosophique, et cultive également un goût pour la littérature. Alors que Les Neiges du Kilimandjaro devait son histoire à quelques vers de Hugo, il est ici question de Claudel. «J'ai le goût de la citation. Dans la vie aussi, quand je parle, j'aime bien citer de grands auteurs. Je le fais depuis que je suis enfant, cela vient peutêtre du fait que mon père savait à peine lire. Pour moi, la littérature et l'écriture sont des choses sacrées. J'ai l'envie de transmettre. Si je raconte des histoires, c'est parce que je connais Shakespeare, Tchekhov, Brecht. Je dis d'ailleurs souvent aux jeunes que s'ils veulent faire du cinéma, ils doivent lire et aller voir des expos.»
Testamentaire. Voilà, au final, l'adjectif qui résume le mieux cette émouvante fable qu'est La Villa. La remarque n'étonne pas le Marseillais, qui avoue avoir toujours eu l'impression de faire des films testamentaires. «Je mets la plupart du temps en scène trois générations, donc il est question des liens entre passé et avenir. Mes personnages sont toujours entre deux états, entre un espoir déçu et un combat possible. A l'époque de La Ville est tranquille (2000), certains critiques se demandaient ce qu'on pouvait encore dire après ça… Eh bien j'ai fait dix films depuis. On en revient à cette idée que la nostalgie est révolutionnaire: j'analyse l'état du monde, les forces en présence, et à partir de là je formule une proposition. La lutte continue!»
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«Les réfugiés peuvent nous faire renaître, nous régénérer»