La RTS veut reconquérir les jeunes avec ses webséries
Vecteurs de nouvelles formes d’écriture, les feuilletons dédiés à Internet offrent un champ d’expérimentation bienvenu. La Suisse s’y démarque, grâce notamment à la RTS
INTERNET La Suisse est un laboratoire créatif pour les webséries. La RTS s’est lancée dans l’aventure
Loin des grosses productions Netflix ou HBO qui vous scotchent des heures dans votre canapé, les webséries sont davantage des petites bouchées, à déguster sur les réseaux sociaux. Ces fictions de poche diffusées sur le Web connaissent un succès grandissant, portées par l’appétit de nouveauté des millennials. Leur production se professionnalise: finis les deux geeks et trois aspirants comédiens qui se filment et montent dans leur salon. «Plus le temps passe et plus le format est pris au sérieux, parce qu’il permet de tester des choses ou de dénicher des talents», détaille Pauline Cazorla, programmatrice de séries web au Festival international du film de Genève.
En Suisse, la RTS produit plusieurs de ces webséries, en s’associant à des jeunes créatifs. Dans Animalis, le Grand JD, youtubeur star genevois, part à la découverte d’animaux sauvages. Cet automne a été lancé Tataki, une «chaîne» en ligne dédiée aux 15-24 ans et truffée de webséries. «Il y a une volonté de rajeunir l’audience», analyse Françoise Mayor, responsable de l’unité Fiction produite.
Pour la RTS, l’enjeu est crucial, particulièrement en ces temps troublés. La semaine dernière, Le Temps rencontrait longuement des jeunes partisans de «No Billag». Cette vieille télé, disaient-ils en substance, ne nous ressemble plus. En se lançant sur le terrain de ces jeunes, en s’adaptant à leurs codes, en tentant de leur ressembler, la RTS est aussi à la conquête de son futur.
«Plus le temps passe, plus ce format est pris au sérieux» PAULINE CAZORLA, PROGRAMMATRICE DE SÉRIES WEB
Série. Sirène. Aviez-vous déjà remarqué comme ces deux mots se ressemblent? Leurs référents également, incarnations de la tentation. Cas d’école: vous décidez de renoncer à regarder un James Bond ce soir, soucieux de préserver votre sommeil, et optez pour un épisode de Game of
Thrones. Las, comme Ulysse avant vous, vous cédez au chant du générique et visionnez trois chapitres d’affilée. La solution à ce fardeau contemporain consiste à reporter sa soif de suspense et de récurrence sur les webséries. Comptez quelques minutes par épisodes et moins de deux heures pour une «saison» entière. Bonne nouvelle encore: la Suisse est particulièrement dynamique dans ce domaine en perpétuel renouvellement.
«Plus le temps passe et plus le format est pris au sérieux, parce qu’il permet de tester des choses ou de dénicher des talents, souligne Pauline Cazorla, programmatrice de séries web au Festival international de films de Genève. La Suisse est très active en la matière.» Acteur incontournable: la RTS. Depuis 2013 et la possibilité de réaliser des productions originales pour Internet, le service public a mis en ligne une trentaine de séries courtes. Ce samedi, une nouvelle fiction sera diffusée: Likemoi!, remake d’une création québécoise en partenariat avec France 4 et la RTBF (98 épisodes de 3 minutes, lire ci-dessous). En janvier, #seniors (10 épisodes de 3 minutes) constituera une sorte de formation aux réseaux sociaux pour les nuls. En juillet, c’est une collaboration avec le NIFF qui sera dévoilée: Le 5e cavalier, lauréat du Fantastic Web Contest 2017.
Poids de l’audience internet
«Notre objectif est d’en proposer deux à trois nouvelles chaque année, après des appels à projets. Pour mon département, il s’agit d’abord de soutenir la culture, argue Françoise Mayor, responsable de l’unité Fiction produite à la RTS. Pour le Labo numérique, il y a également une volonté de rajeunir l’audience.» Le poids de l’audience internet, pour l’heure, représente en moyenne entre 5 et 10% de l’audience TV. L’équipe purement digitale de l’entreprise se démarque depuis longtemps en matière de webséries, de la savoureuse Contre-pied, interrogeant des personnalités suisses sur l’hymne national, Otto Stich ou le Conseil fédéral, à Break-ups mettant en scène des ruptures.
L’une des dernières en date, Animalis, présentait le blogueur Le Grand JD en reporter animalier. «Diffusée sur la chaîne YouTube du Grand JD, la page Facebook de la RTS et notre site, elle a battu les records d’audience du Web, toutes catégories confondues», se réjouit Michael Lapaire, producteur et journaliste au Labo digital. «Le format est excellent mais la websérie, souvent un coup ponctuel, manque de lisibilité dans l’immensité d’Internet. Pour émerger, il faut un bon contenu, une communauté si possible existante et une offre régulière dans un canal ad hoc», poursuit Serge Gremion, à la tête du Labo numérique. En France, Studio+, propose un abonnement payant, se positionnant comme le Netflix des séries courtes, avec des productions ultraléchées et à gros budget, loin de l’esprit artisanal qui prévaut dans le secteur.
Le mois passé, la RTS, elle, a lancé Tataki, une «chaîne» dédiée au 15-24 ans, dont les contenus, résultats d’appels à projets, sont diffusés sur Facebook, YouTube, Instagram et Snapchat, avec des formats spécifiques pour chacun. «Nous allons d’une minute environ sur Instagram jusqu’à 14-15 sur YouTube mais cela reste globalement court. Nous nous donnons trois mois pour tester différentes formes puis nous resserrerons l’offre en 2018», éclaire Serge Gremion, responsable du projet.
Plus d’audace
Pour les chaînes télévisées, la websérie offre un champ d’expérimentation inédit. «Les chaînes doivent avoir un retour sur investissement, qui se compte en termes d’audimat, lorsqu’elles produisent une série. Il y a beaucoup moins de pression quant aux résultats sur le Web, et donc beaucoup plus d’audace», analyse Pauline Cazorla. Et de citer Dawaland, coproduit par Arte et la RTS, une histoire crayonnée sur une feuille A4, ou Monsieur Flap chez france TV, un type ayant fesses et testicules à la place du visage. Dans le milieu, les Belges sont unanimement salués pour leur humour absurde et leur témérité. Récemment, la RTBF a produit PLS, une série à durée de vie limitée diffusée sur Snapchat.
Question de rythme
Mais au-delà des chaînes, des particuliers ou des studios se lancent afin de partager une expérience ou se faire connaître à moindres frais. Citons Ma
femme est pasteure ou le moins convaincant Ladies happy hour. Des entreprises utilisent également le format comme vecteur de publicité. Récemment, l’Office des vins vaudois a produit La petite cave vaudoise tandis que la Migros mettait en scène La Joue, un Anglais dont la joue possède la consistance d’un steak cuit à point.
Le studio lausannois messieurs.ch est régulièrement sollicité par des sociétés pour fabriquer des séries brèves. «Avant, nous réalisions des vidéos qui duraient 2 minutes mais les gens ne regardaient que les trente premières secondes. Dorénavant, nous coupons le contenu en épisodes, ce qui assure également une présence plus longue sur le Web», expliquent Nathan et Gabriel Saurer.
Pour Bertrand Saillen, organisateur du Swiss Web festival et plus récemment du Royaume du Web, la question de la durée n’est plus primordiale. «Il y a deux ans, je vous aurais dit que l’avenir résidait dans les formats courts. Je n’en suis plus si sûr. Deux types de consommation cohabitent: le bref et le zapping dans les transports par exemple et le plus long pour le soir et le week-end. Il y a peu, Le Grand JD a diffusé des 26 minutes, soit un format classique de la télévision, et il affiche un temps de visionnement d’au moins 75%, qui plus est sur des sujets comme l’Irak ou le réchauffement climatique. Si le rythme est là, la durée importe peu.» Comme pour un article, non?
Dans le milieu, les Belges sont unanimement salués pour leur humour absurde et leur témérité