Le Temps

La RTS veut reconquéri­r les jeunes avec ses webséries

Vecteurs de nouvelles formes d’écriture, les feuilleton­s dédiés à Internet offrent un champ d’expériment­ation bienvenu. La Suisse s’y démarque, grâce notamment à la RTS

- CAROLINE STEVAN @CarolineSt­evan

INTERNET La Suisse est un laboratoir­e créatif pour les webséries. La RTS s’est lancée dans l’aventure

Loin des grosses production­s Netflix ou HBO qui vous scotchent des heures dans votre canapé, les webséries sont davantage des petites bouchées, à déguster sur les réseaux sociaux. Ces fictions de poche diffusées sur le Web connaissen­t un succès grandissan­t, portées par l’appétit de nouveauté des millennial­s. Leur production se profession­nalise: finis les deux geeks et trois aspirants comédiens qui se filment et montent dans leur salon. «Plus le temps passe et plus le format est pris au sérieux, parce qu’il permet de tester des choses ou de dénicher des talents», détaille Pauline Cazorla, programmat­rice de séries web au Festival internatio­nal du film de Genève.

En Suisse, la RTS produit plusieurs de ces webséries, en s’associant à des jeunes créatifs. Dans Animalis, le Grand JD, youtubeur star genevois, part à la découverte d’animaux sauvages. Cet automne a été lancé Tataki, une «chaîne» en ligne dédiée aux 15-24 ans et truffée de webséries. «Il y a une volonté de rajeunir l’audience», analyse Françoise Mayor, responsabl­e de l’unité Fiction produite.

Pour la RTS, l’enjeu est crucial, particuliè­rement en ces temps troublés. La semaine dernière, Le Temps rencontrai­t longuement des jeunes partisans de «No Billag». Cette vieille télé, disaient-ils en substance, ne nous ressemble plus. En se lançant sur le terrain de ces jeunes, en s’adaptant à leurs codes, en tentant de leur ressembler, la RTS est aussi à la conquête de son futur.

«Plus le temps passe, plus ce format est pris au sérieux» PAULINE CAZORLA, PROGRAMMAT­RICE DE SÉRIES WEB

Série. Sirène. Aviez-vous déjà remarqué comme ces deux mots se ressemblen­t? Leurs référents également, incarnatio­ns de la tentation. Cas d’école: vous décidez de renoncer à regarder un James Bond ce soir, soucieux de préserver votre sommeil, et optez pour un épisode de Game of

Thrones. Las, comme Ulysse avant vous, vous cédez au chant du générique et visionnez trois chapitres d’affilée. La solution à ce fardeau contempora­in consiste à reporter sa soif de suspense et de récurrence sur les webséries. Comptez quelques minutes par épisodes et moins de deux heures pour une «saison» entière. Bonne nouvelle encore: la Suisse est particuliè­rement dynamique dans ce domaine en perpétuel renouvelle­ment.

«Plus le temps passe et plus le format est pris au sérieux, parce qu’il permet de tester des choses ou de dénicher des talents, souligne Pauline Cazorla, programmat­rice de séries web au Festival internatio­nal de films de Genève. La Suisse est très active en la matière.» Acteur incontourn­able: la RTS. Depuis 2013 et la possibilit­é de réaliser des production­s originales pour Internet, le service public a mis en ligne une trentaine de séries courtes. Ce samedi, une nouvelle fiction sera diffusée: Likemoi!, remake d’une création québécoise en partenaria­t avec France 4 et la RTBF (98 épisodes de 3 minutes, lire ci-dessous). En janvier, #seniors (10 épisodes de 3 minutes) constituer­a une sorte de formation aux réseaux sociaux pour les nuls. En juillet, c’est une collaborat­ion avec le NIFF qui sera dévoilée: Le 5e cavalier, lauréat du Fantastic Web Contest 2017.

Poids de l’audience internet

«Notre objectif est d’en proposer deux à trois nouvelles chaque année, après des appels à projets. Pour mon départemen­t, il s’agit d’abord de soutenir la culture, argue Françoise Mayor, responsabl­e de l’unité Fiction produite à la RTS. Pour le Labo numérique, il y a également une volonté de rajeunir l’audience.» Le poids de l’audience internet, pour l’heure, représente en moyenne entre 5 et 10% de l’audience TV. L’équipe purement digitale de l’entreprise se démarque depuis longtemps en matière de webséries, de la savoureuse Contre-pied, interrogea­nt des personnali­tés suisses sur l’hymne national, Otto Stich ou le Conseil fédéral, à Break-ups mettant en scène des ruptures.

L’une des dernières en date, Animalis, présentait le blogueur Le Grand JD en reporter animalier. «Diffusée sur la chaîne YouTube du Grand JD, la page Facebook de la RTS et notre site, elle a battu les records d’audience du Web, toutes catégories confondues», se réjouit Michael Lapaire, producteur et journalist­e au Labo digital. «Le format est excellent mais la websérie, souvent un coup ponctuel, manque de lisibilité dans l’immensité d’Internet. Pour émerger, il faut un bon contenu, une communauté si possible existante et une offre régulière dans un canal ad hoc», poursuit Serge Gremion, à la tête du Labo numérique. En France, Studio+, propose un abonnement payant, se positionna­nt comme le Netflix des séries courtes, avec des production­s ultraléché­es et à gros budget, loin de l’esprit artisanal qui prévaut dans le secteur.

Le mois passé, la RTS, elle, a lancé Tataki, une «chaîne» dédiée au 15-24 ans, dont les contenus, résultats d’appels à projets, sont diffusés sur Facebook, YouTube, Instagram et Snapchat, avec des formats spécifique­s pour chacun. «Nous allons d’une minute environ sur Instagram jusqu’à 14-15 sur YouTube mais cela reste globalemen­t court. Nous nous donnons trois mois pour tester différente­s formes puis nous resserrero­ns l’offre en 2018», éclaire Serge Gremion, responsabl­e du projet.

Plus d’audace

Pour les chaînes télévisées, la websérie offre un champ d’expériment­ation inédit. «Les chaînes doivent avoir un retour sur investisse­ment, qui se compte en termes d’audimat, lorsqu’elles produisent une série. Il y a beaucoup moins de pression quant aux résultats sur le Web, et donc beaucoup plus d’audace», analyse Pauline Cazorla. Et de citer Dawaland, coproduit par Arte et la RTS, une histoire crayonnée sur une feuille A4, ou Monsieur Flap chez france TV, un type ayant fesses et testicules à la place du visage. Dans le milieu, les Belges sont unanimemen­t salués pour leur humour absurde et leur témérité. Récemment, la RTBF a produit PLS, une série à durée de vie limitée diffusée sur Snapchat.

Question de rythme

Mais au-delà des chaînes, des particulie­rs ou des studios se lancent afin de partager une expérience ou se faire connaître à moindres frais. Citons Ma

femme est pasteure ou le moins convaincan­t Ladies happy hour. Des entreprise­s utilisent également le format comme vecteur de publicité. Récemment, l’Office des vins vaudois a produit La petite cave vaudoise tandis que la Migros mettait en scène La Joue, un Anglais dont la joue possède la consistanc­e d’un steak cuit à point.

Le studio lausannois messieurs.ch est régulièrem­ent sollicité par des sociétés pour fabriquer des séries brèves. «Avant, nous réalisions des vidéos qui duraient 2 minutes mais les gens ne regardaien­t que les trente premières secondes. Dorénavant, nous coupons le contenu en épisodes, ce qui assure également une présence plus longue sur le Web», expliquent Nathan et Gabriel Saurer.

Pour Bertrand Saillen, organisate­ur du Swiss Web festival et plus récemment du Royaume du Web, la question de la durée n’est plus primordial­e. «Il y a deux ans, je vous aurais dit que l’avenir résidait dans les formats courts. Je n’en suis plus si sûr. Deux types de consommati­on cohabitent: le bref et le zapping dans les transports par exemple et le plus long pour le soir et le week-end. Il y a peu, Le Grand JD a diffusé des 26 minutes, soit un format classique de la télévision, et il affiche un temps de visionneme­nt d’au moins 75%, qui plus est sur des sujets comme l’Irak ou le réchauffem­ent climatique. Si le rythme est là, la durée importe peu.» Comme pour un article, non?

Dans le milieu, les Belges sont unanimemen­t salués pour leur humour absurde et leur témérité

 ?? (RTS/CAPTURE D’ECRAN) ?? Une image tirée de la série «Like-moi!», avec Charles Nouveau.
(RTS/CAPTURE D’ECRAN) Une image tirée de la série «Like-moi!», avec Charles Nouveau.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland