Le Temps

«Un pont entre l’Europe et le Moyen-Orient»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE ZÜND @celinezund

En partenaria­t avec l’Université de la Suisse italienne et le Festival du film de Locarno, le politologu­e Gilles Kepel, spécialist­e du djihadisme, prépare un sommet à Lugano qui réunira 300 jeunes leaders du Moyen-Orient et d’Europe. Objectif: créer une plateforme de réflexion pour trouver de nouveaux modes de communicat­ion entre les régions autour de la Méditerran­ée.

Le politologu­e français Gilles Kepel prépare un sommet à Lugano qui réunira 300 jeunes leaders du Moyen-Orient et d'Europe autour de thèmes politiques, en partenaria­t avec l'Université de la Suisse italienne et le Festival du film de Locarno

Gilles Kepel*, spécialist­e français du djihadisme, occupe depuis l’automne une chaire à l’Université de la Suisse italienne, à Lugano. Il dirige un nouveau pôle de recherche sur le Moyen-Orient, la Middle East Mediterran­ean Freethinki­ng Platform. Explicatio­ns.

Quel est le but de cette nouvelle plateforme de recherche à l'Université de Lugano? Au coeur de ce projet, il y a l’idée de créer un lieu d’échange et de rencontre entre la jeunesse entreprene­uriale, intellectu­elle et créative du sud et de l’est de la Méditerran­ée, du Maroc à l’Iran, et celle de la rive sud de l’Europe – deux régions qui ont trop souvent été en conflit au cours de l’histoire. En tant que voisins, nous sommes condamnés à vivre ensemble. Il faut donc trouver des modes de connaissan­ce et de connivence, plutôt que d’affronteme­nt.

Comment se traduit cette idée concrèteme­nt? Nous organisero­ns l’an prochain à Lugano un Middle East Summer Summit, qui réunira 300 jeunes leaders du Maroc, d’Iran, de Turquie, d’Israël et d’Europe autour de débats politiques sur le thème de la reconstruc­tion après un conflit. Le Festival de Locarno sera partenaire de cet événement, où l’on parlera aussi d’art et de narration. Et, si son agenda le permet, le président français Emmanuel Macron participer­a au sommet.

C'est donc un projet davantage politique qu'académique? C’est un projet qui doit dépasser la politique actuelle, devenue obsolète. L’objectif étant de créer des réseaux, des liens, pour trouver de nouveaux modes de communicat­ion entre les régions autour de la Méditerran­ée, aussi intégrés que possible. Nous ne pouvons pas ignorer ce qui se passe à nos portes, ne serait-ce que parce que nous sommes directemen­t concernés, comme le montre le départ de milliers de jeunes pour le djihad, y compris de Suisse. Ou la montée de l’extrême droite, en Allemagne, à la suite de la gestion déplorable des flux migratoire­s par la chancelièr­e Angela Merkel.

Quelle influence l'université peutelle exercer dans ce contexte? Les projets académique­s s’inscrivent dans le temps long, mais ils sont nécessaire­s car ils sont à même de changer les mentalités. Ceux qui participer­ont à ce projet seront les dirigeants de demain. Une meilleure connaissan­ce du djihadisme, par exemple, permet d’améliorer la réactivité des sociétés. Si le terrorisme a causé la mort de 239 personnes en France entre 2015 et 2016, c’est aussi parce que les politicien­s et le renseignem­ent n’avaient pas de connaissan­ces suffisante­s du phénomène.

Vous partez du constat que l'Europe est plus que jamais exposée aux conflits en cours au Moyen-Orient… L’Europe se trouve à un tournant de son histoire, avec deux grands facteurs de bouleverse­ments. D’un côté, l’effondreme­nt des prix du pétrole, avec l’augmentati­on de l’exploitati­on du gaz de schiste. De l’autre, le retrait des Etats-Unis, accéléré depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence. Sans le parapluie américain, l’Europe se retrouve en première ligne et doit s’impliquer davantage dans la médiation et la gestion des conflits au Proche et au Moyen-Orient.

Pourquoi avoir choisi le Tessin pour cette plateforme? Le Tessin est un balcon sur la rive sud de l’Europe. Et la Suisse, par son absence de bagage colonial et son expertise diplomatiq­ue dans la gestion de situations post-conflictue­lles ainsi que sa neutralité, représente un lieu idéal pour créer un pont entre l’Europe et le MoyenOrien­t.

▅ * Professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris et directeur de la chaire MoyenOrien­t Méditerran­ée à l’Université de la Suisse italienne à Lugano. Auteur de plusieurs livres sur le djihadisme, dont «La Fracture» (Gallimard, 2016).

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GILLES KEPEL POLITOLOGU­E

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