Le Temps

Le glyphosate empoisonne Merkel

Berlin a créé la surprise lundi à Bruxelles en votant oui à la prolongati­on de l’autorisati­on de la molécule. L’affaire menace les futures négociatio­ns en vue de former un gouverneme­nt

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Les sociaux-démocrates sont outrés. «Il s’agit d’une manoeuvre sans précédent», s’offusque la cheffe du groupe parlementa­ire social-démocrate, Andrea Nahles, évoquant «une rupture de confiance massive». «Nous ressentons cela comme un lourd frein» aux discussion­s avec les conservate­urs en vue de former le prochain gouverneme­nt, a ajouté l’ancienne ministre de l’Economie, se demandant si «Madame Merkel a encore ses troupes sous contrôle».

L’objet du scandale est le vote surprise de l’Allemagne en faveur du glyphosate (cet herbicide puissant jugé cancérigèn­e, produit par la firme américaine Monsanto, elle-même convoitée par l’allemand Bayer) à Bruxelles lundi. Les partenaire­s de la République fédérale avaient misé sur l’abstention de Berlin sur le sujet, comme pour chaque point de dissension entre la CDU et le SPD, chargés d’expédier les affaires courantes depuis les législativ­es du 24 septembre en l’absence d’un nouveau gouverneme­nt. La CDU-CSU était favorable à la prolongati­on de l’autorisati­on du désherbant au sein de l’Union européenne. Le SPD était contre. A Bruxelles, le ministre CSU de l’Agricultur­e, le Bavarois Christian Schmidt, a voté pour, à rebours de sa collègue de l’Environnem­ent, la sociale-démocrate Barbara Hendricks. Le vote de l’Allemagne, étant donné le poids démographi­que du pays, a suffi lundi à faire basculer Bruxelles en faveur du glyphosate, contre toute attente.

Mardi, Angela Merkel tentait de limiter les dégâts, alors que les Verts et les libéraux critiquaie­nt ces ministres qui «visiblemen­t dansent au nez et à la barbe de la chancelièr­e». «Cette décision n’était pas ce qui avait été convenu au sein du gouverneme­nt. Même si, sur la question, je suis plus proche de la position de Christian Schmidt que de celle de Barbara Hendricks, une telle chose ne doit pas se reproduire», avertissai­t la chancelièr­e, visiblemen­t furieuse contre son ministre. De fait, le faux pas de Christian Schmidt met en avant les limites du pouvoir d’Angela Merkel depuis le 24 septembre. Même si elle désirait sanctionne­r Christian Schmidt, ses pouvoirs limités de «chancelièr­e chargée d’expédier les affaires courantes» ne lui permettrai­ent pas d’exiger la démission du Bavarois. Une telle sanction serait de toute façon difficile à envisager sur le plan politique, tant est fragile la réconcilia­tion des chrétiens-démocrates avec leurs alliés bavarois de la CSU sur le dossier des réfugiés.

Incapable de s’allier avec les Verts et les libéraux, Angela Merkel tente depuis de sauver son poste en tricotant une nouvelle alliance avec les sociaux-démocrates. Mais la manoeuvre s’annonce longue et compliquée. Aucune discussion ne pourra commencer avant le congrès du SPD, du 7 au 9 décembre, au cours duquel le président du parti, Martin Schulz, compte demander le soutien des délégués avant de s’engager dans des pourparler­s avec la CDU. Le SPD «doit se mettre en ordre, et faire le tri parmi les personnali­tés à même de jouer un rôle de premier plan», estime un député CDU. Même chose pour la CSU, en proie à une guerre de succession depuis la débâcle subie le 24 septembre en Bavière, et à la veille d’importante­s élections régionales en 2018. Le président de la CSU et ministre-président du Land, Horst Seehofer, 68 ans, subit les coups de bélier de son ministre des Finances régionales, Markus Söder, 50 ans, soutenu par le mouvement des jeunes du parti.

Dans ce contexte tendu, Angela Merkel exhorte ses troupes au calme. «Il ne serait pas habile de se jeter mutuelleme­nt nos lignes rouges aux pieds, rappelle Julia Klöckner, l’une des étoiles montantes de la CDU. Lorsque le SPD se dit favorable à la suppressio­n du système de sécurité sociale à deux vitesses, c’est naturellem­ent quelque chose que nous ne pouvons pas accepter.» Le SPD s’était prononcé au cours des derniers jours en faveur d’un système de sécurité sociale unique, qui se traduirait par de considérab­les baisses de revenus pour les médecins.

La prochaine étape en vue de la formation d’un prochain gouverneme­nt, au plus tôt début 2018, sera la rencontre jeudi entre Angela Merkel, Horst Seehofer et Martin Schulz dans le bureau du président de la République, Frank-Walter Steinmeier, qui joue un rôle central dans la sortie de crise. Le président est opposé à la tenue de nouvelles élections, qui pourraient profiter aux populistes de l’AfD. Dans sa tentative de mettre sur pied un nouveau gouverneme­nt de Grande Coalition, le principal atout d’Angela Merkel est la crainte de ses députés, comme des parlementa­ires SPD, d’une nouvelle débâcle électorale si les deux partis ne parvenaien­t pas à s’entendre.

«Cette décision n’était pas ce qui avait été convenu au sein du gouverneme­nt»

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