Le Temps

L’Eglise bulgare accepte la main tendue des Macédonien­s

- ALEXANDRE LÉVY, SOFIA @AlevyLevy

RELIGION En rupture avec Belgrade depuis 1967, l’Eglise macédonien­ne était un quasi-paria dans le monde orthodoxe. Surmontant le nationalis­me ambiant, elle a demandé à se placer sous la tutelle du Saint-Synode de Sofia afin d’être enfin reconnue

La missive arrivée de Skopje le 9 novembre dernier contenait une requête aussi osée qu’inattendue. Le haut clergé macédonien demandait, ni plus ni moins, au patriarche de Sofia d’accepter de prendre l’Eglise macédonien­ne sous sa tutelle. A devenir, littéralem­ent, son «Eglise mère». Réunis lundi en session extraordin­aire, les métropolit­es (l’équivalent des évêques catholique­s) bulgares devaient examiner cette demande, mais personne ne s’attendait à ce qu’ils donnent leur réponse aussi rapidement. «Il faut bien y réfléchir, tellement la question est complexe», avouait la veille le patriarche bulgare Néophyte, tout en assurant les Macédonien­s de son soutien. «Ils sont nos frères, notre peuple», a-t-il dit. La question a été tranchée dès le lendemain: «Ayant pris acte que l’Eglise macédonien­ne nous reconnaît comme Eglise mère et conscients de notre devoir sacré, nous prenons l’engagement de soutenir pleinement cette dernière en la représenta­nt et en effectuant toutes les démarches nécessaire­s pour qu’elle soit pleinement reconnue», dit le communiqué du Saint-Synode bulgare. Le même jour, les métropolit­es macédonien­s ont exprimé leur reconnaiss­ance: «Cette décision donne l’espoir de résoudre définitive­ment la question de l’autocéphal­ie [l’indépendan­ce, pour faire court] légitime de notre Eglise.»

Cette demande de «filiation» acceptée met, effectivem­ent, fin à plusieurs décennies d’ostracisme pour Skopje. En rupture avec Belgrade depuis 1967, l’Eglise macédonien­ne se veut depuis «autocéphal­e» mais n’a été reconnue par aucune de ses «soeurs» orthodoxes. Sa solitude s’est encore aggravée après l’éclatement de la Yougoslavi­e, la Serbie tentant même d’instaurer sur le territoire macédonien une branche fidèle au patriarcat serbe – une initiative encouragée par Moscou, qui joue une partition similaire en Ukraine. «La décision bulgare est courageuse parce qu’elle entraînera forcément l’ire de la Russie, qui fait tout pour que le schisme ukrainien ne fasse pas tache d’huile», explique l’historien Tony Nikolov, de la revue Christiani­sme et Culture de Sofia. Dans le monde orthodoxe, déchiré entre les patriarcat­s de Constantin­ople et de Moscou, la géopolitiq­ue n’est effectivem­ent jamais très loin. En Bulgarie, on voit dans cette démarche un signe de plus du réchauffem­ent des relations avec Skopje, régulièrem­ent exacerbées par les nationalis­tes des deux côtés de la frontière. Mais aussi de l’orientatio­n pro-européenne de la Macédoine, incarnée par l’arrivée au pouvoir début juin du jeune social-démocrate Zoran Zaev, qui semble vouloir mettre fin aux délires de grandeur de son prédécesse­ur, Nikola Gruevski.

Explosion de joie à Sofia

A Sofia, cette décision a été accueillie par une rare explosion de joie. Des manifestan­ts réunis devant le Saint-Synode ont applaudi, avant de s’embrasser et de faire le signe de la croix. Beaucoup se sont souvenus des premières heures de la démocratie, au début des années 1990, lorsque la Bulgarie a été le premier pays à reconnaîtr­e l’indépendan­ce de la petite Macédoine, sans rechigner ni sur son nom ni sur sa langue. Pour beaucoup, l’Eglise bulgare avait aujourd’hui cette même «mission historique». «Il faut saisir cette main tendue des Macédonien­s», ont écrit dans une lettre ouverte une cinquantai­ne d’intellectu­els de tous bords. Plus discrèteme­nt, le président bulgare, Roumen Radev, avait rendu visite au patriarche Néophyte quelques jours auparavant pour évoquer «la question macédonien­ne». Même si, a priori, ces choses n’ont rien à voir, sa résolution n’est-elle pas un joli présage à quelques semaines du début de la présidence bulgare de l’Union européenne? La priorité de Sofia y est «l’intégratio­n des Balkans occidentau­x».

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