Les paysans s’accrochent aux droits de douane
Le Conseil fédéral envisage d'assouplir les taxes à l'importation de produits agricoles. La branche réagit avec véhémence
Johann Schneider-Ammann envisage de réduire les mesures de protection douanière qui renchérissent les produits alimentaires importés. Il part du principe que cet assouplissement sera un préalable nécessaire à la signature de nouveaux accords de libre-échange. Cette proposition, présentée le 1er novembre dans le cadre d’une vue d’ensemble du développement de la politique agricole au-delà de 2022 (PA22+), incite les paysans suisses à brandir les fourches. Ils n’en sont pas encore à manifester sur la place Fédérale comme ils l’avaient fait il y a tout juste deux ans pour protester contre les coupes budgétaires, mais la colère monte et les organisations paysannes se mobilisent pour convaincre le ministre de l’Economie de changer d’avis.
«Le 24 septembre, le peuple et les cantons ont apporté leur soutien à une agriculture durable en approuvant l’article constitutionnel sur la sécurité alimentaire. Quelques semaines plus tard, le Conseil fédéral adopte un rapport sur la PA 2022+ qui contredit cet article constitutionnel. Nous rejetons ce rapport», décrète le président de l’Union suisse des paysans (USP), le conseiller national Markus Ritter (PDC/ SG). Cette vue d’ensemble propose trois scénarios d’ouverture du marché qui ont tous pour but de réduire les différences de prix entre les produits agricoles importés et ceux qui sont cultivés en Suisse. Le premier évoque une suppression complète des mesures de protection douanière sur les aliments importés de l’UE, le deuxième une diminution de 50% des droits de douane sur ces mêmes marchandises européennes et le troisième une baisse de 50% des taxes grevant les produits en provenance des pays sud-américains du Mercosur. Le gouvernement accorde sa préférence à la deuxième variante.
1350 exploitations condamnées chaque année?
Les mesures de protection douanière fonctionnent sur la base d’un contingentement tarifaire. Les taxes sont relativement basses pour une quantité déterminée de marchandises, mais elles deviennent très élevées pour la part qui dépasse le quota fixé. L’OCDE estime la valeur de cette protection douanière à 3,5 milliards de francs en moyenne. Et ce sont les consommateurs qui en paient le prix. Le Conseil fédéral souhaite donc libéraliser ce système, qui, dit-il, induit de «fausses incitations». Il ajoute que 40 à 50% des besoins alimentaires du pays sont couverts par des importations et que la réduction partielle de ces mesures protectionnistes sera «gérable pour l’agriculture et le secteur agroalimentaire».
La branche est d’un autre avis et tient à le faire savoir à Johann Schneider-Ammann avant qu’il mette son projet de PA22+ en consultation l’année prochaine. La réduction des droits de douane et l’abandon des contingents tarifaires mettraient les producteurs sous une pression très forte. Au point que 1350 exploitations devraient mettre la clé sous la porte, soit les trois quarts de celles qui sont à remettre chaque année, calcule Francis Egger, de l’USP. Les prix diminueraient de 29% pour les céréales et de 32% pour la viande de boeuf, ce qui ne serait pas supportable pour la production, qui subirait une perte de 800 millions à un milliard de francs par an. Les paysans de montagne seraient particulièrement exposés, eux qui sont condamnés à se concentrer sur le lait et la viande. «Ce ne serait socialement pas supportable. Nous ne pouvons pas rivaliser avec les prix à la production de l’UE tout en supportant le niveau des coûts en Suisse», résume Francis Egger. Markus Ritter ajoute que les contingents tarifaires permettent aux agriculteurs suisses d’agir comme des entrepreneurs et limitent les besoins en paiements directs.
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