Le Temps

«Les leaders suisses perdent du terrain»

Christoph Koellreute­r, vice-président de la Fondation CH2048, observe un retard croissant des branches clés du pays par rapport aux leaders mondiaux. Il propose un débat sur les réformes sociales dont un droit de formation qui remplacera­it l’allocation ch

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, BÂLE @garessus

La Fondation CH2048 cherche à répondre aux conséquenc­es d’un mécontente­ment exprimé lors des votations (immigratio­n, Minder) en offrant des solutions de réforme économique­ment cohérentes et ouvertes sur l’avenir. Elle réunit des personnali­tés de tous horizons économique­s, politiques et scientifiq­ues.

Selon son vice-président et responsabl­e des programmes de réformes, Christoph Koellreute­r, l’ancien directeur du BAK, la démarche de ce laboratoir­e d’idées comporte deux axes. Elle mène, d’une part, une analyse de l’état de la Suisse dans la numérisati­on en partant du principe que ce qui est mesuré est ensuite mis en action (benchmarki­ng). A l’inverse des opinions reçues, les branches clés de la Suisse (pharma, banques, horlogerie) accroissen­t leur retard par rapport aux leaders mondiaux. Un rapport détaillé à ce sujet sera présenté en mars 2018.

D’autre part, la Fondation CH2048, qui s’est réunit mardi soir, émet aussi des propositio­ns de réformes sociales concrètes afin d’adapter le marché du travail, les assurances sociales, le dialogue social et la fiscalité. Sa contributi­on au débat se distingue de celle de certains laboratoir­es d’idées. Elle ne cherche pas à avancer des propositio­ns irréalisab­les et procède par concertati­on avec les partenaire­s sociaux. En vertu des discussion­s à mener dans ce cadre, les réformes sociales seront publiées à l’automne 2018, explique au Temps Christoph Koellreute­r.

Est-ce que la Suisse perd du terrain à l’ère numérique? Les indicateur­s qui placent la Suisse en tête de l’innovation et de la productivi­té, comme ceux du World Economic Forum et de l’IMD, sont construits comme des saucissons.

Ils utilisent les mêmes indicateur­s et varient la pondératio­n de chaque critère. La Suisse arrive en tête parce que nous sommes très forts en matière de brevets et de dépenses de recherche et développem­ent, grâce à des groupes comme Roche et Novartis. Mais nous sommes moins bons en matière de start-up et peut-être mauvais dans la phase d’accélérati­on de celles-ci, celle qui succède au démarrage (scale-up). Il faudrait d’ailleurs éviter les comparaiso­ns par pays. A quoi nous sert-il de nous comparer aux Etats-Unis? Mieux vaut prendre en considérat­ion les clusters de chaque branche, par exemple la Silicon Valley, Seattle ou Boston dans la technologi­e, la Finlande dans les instrument­s de mesure ou Londres dans la finance. J’ajoute que les derniers chiffres des pays scandinave­s m’ont surpris positiveme­nt.

Est-ce raisonnabl­e de nous comparer à la Silicon Valley? Dans les technologi­es de l’informatio­n et les services informatiq­ues, le leader est clairement la Silicon Valley, d’autant plus qu’Amazon, Apple ou Google attaquent toutes les branches, de la santé à l’horlogerie en passant par la finance. Toutes ces branches deviendron­t hybrides, avec une dimension analogique et une autre numérique. La pharma va continuer de fabriquer des médicament­s mais le numérique va donner des ailes à la recherche et rendre le processus de développem­ent nettement plus efficient. La création de Verily, autrefois Google Life, est à prendre très au sérieux.

Comment se développe la pharma? Mes précédente­s études comparativ­es de 2009 plaçaient la Suisse en tête dans le monde. Mais elle n’y est plus selon les chiffres de 2016. San Francisco, Seattle et la Suède devancent la Suisse. Ruedi Noser, conseiller d’Etat zurichois et expert dans les technologi­es, répète que nous avons perdu la première mi-temps mais que nous devons gagner la deuxième. Dans vos projets de réforme sociale, quelles sont vos propositio­ns? Ce ne sont pas les réformes de la fondation elle-même, mais celles qui résultent des partenaire­s sociaux, des cantons, des entreprise­s et de l’académie des sciences qui s’y retrouvent. Tous ont financé ce processus mais n’approuvent d’ailleurs pas entièremen­t son contenu. La discussion commence à peine.

Quel est le consensus actuel? En matière de partenaria­t social et de sécurité sociale, l’objectif consiste à intensifie­r le dialogue entre les directions des entreprise­s et les employés. Le débat est ouvert quant à savoir qui doit représente­r les employés. Il peut s’agir d’un syndicat, tel que Syndicom chez Swisscom, ou d’un syndicat maison totalement indépendan­t de l’Union syndicale suisse, comme chez Roche. Nous soutenons toutes les formes de représenta­tion des employés, y compris en faveur des indépendan­ts et des formes atypiques de travail (télétravai­l, temps partiel, multi-activités).

Est-ce vraiment innovateur? Non, mais toutes les entreprise­s ne mettent pas en oeuvre le dialogue social. La fondation propose par exemple que l’Etat ou le privé développen­t des formes de «best practice» en matière de dialogue social.

Ces formes atypiques de travail changent le partenaria­t social. Est-ce que les partenaire­s sociaux seront disruptés? Les syndicats comprennen­t que le modèle traditionn­el est en déclin et qu’il pourrait disparaîtr­e au profit des formes de travail atypiques. Certains représenta­nts du personnel veulent offrir leurs services à ces nouvelles catégories pour les aider à développer une protection sociale. Nous aimerions que chacun dispose d’un 2e pilier pour éviter de tomber à la charge du contribuab­le. L’idée serait de supprimer le montant de coordinati­on. C’est une propositio­n à discuter, y compris par des représenta­nts des nouvelles catégories atypiques. Une protection minimale pour tous est souhaitabl­e. Par contre, nous sommes opposés au revenu de base universel.

Quels sont les bons exemples? Roche et Swisscom sont de bons exemples de dialogue social intensif. Mais les solutions qu’elles apportent sont très différente­s, avec un syndicat totalement indépendan­t de l’USS chez Roche et de l’autre Syndicom. Ce serait un progrès si un dialogue semblable existait dans toutes les entreprise­s. Les syndicats vont offrir leurs services aux nouvelles formes de travail atypiques, ce qui n’est pas très apprécié par ces derniers, ni peut-être par les associatio­ns patronales. Les syndicats n’apprécient pas non plus les syndicats maison. Mais les partenaire­s sociaux sont plus flexibles que l’Etat. Mieux vaut dialoguer que réglemente­r.

Quel est votre scénario pour l’avenir du dialogue social? La concurrenc­e est vive entre les organisati­ons d’employés. De nouvelles organisati­ons pourraient émerger. Nous favorisons l’idée de minimum social y compris pour les plateforme­s numériques, par exemple à travers une convention collective, et pour les formes atypiques de travail. Nous soutenons aussi une assurance de travail qui remplacera­it, du moins en partie, l’assurance chômage. Chacun doit se former à chacune des étapes de sa vie.

Comment cette dernière assurance travail fonctionne­rait-elle? Plutôt que de se former aux nouvelles technologi­es ou à d’autres métiers seulement lorsqu’on entre au chômage, nous préférons qu’une personne se forme en permanence. Il s’agirait d’une assurance de formation permanente obligatoir­e plutôt qu’une assurance chômage. Une partie de la couverture chômage serait conservée en cas de chômage. Nous proposons ces réformes et les discutons avec les partenaire­s sociaux. Le résultat du dialogue reste naturellem­ent ouvert. Est-ce que la Suisse doit suivre le modèle social suédois? Il faut davantage prendre en considérat­ion le modèle social suédois. Il devance la Suisse sur bien des points. C’est tout de même un pays en pointe aussi bien en termes de productivi­té et de croissance que de social. Il faut créer des richesses avant de discuter de leur répartitio­n.

«Leader de la pharma en 2009, la Suisse est désormais dépassée par San Francisco, Seattle et la Suède selon les chiffres de 2016»

Dans la Silicon Valley, personne n’a besoin des syndicats. Est-ce ce modèle qui s’imposera en Suisse? Je ne crois pas. Aux Etats-Unis, le modèle n’encourage pas la solidarité. La Silicon Valley n’apporte que la moitié de la réponse. Mais il est aussi une source de profond mécontente­ment. Donald Trump est le fruit de ce modèle américain. En Suisse, on aide son voisin, on discute et on ne laisse tomber personne. Le système de formation duale n’existe pas aux Etats-Unis.n

 ?? MAROS) (KOSTAS ?? Christoph Koellreute­r, vice-président et responsabl­e des programmes de réformes de la Fondation CH2048: «Il faudrait éviter les comparaiso­ns par pays. A quoi nous sert-il de nous comparer aux Etats-Unis? Mieux vaut prendre en considérat­ion les clusters...
MAROS) (KOSTAS Christoph Koellreute­r, vice-président et responsabl­e des programmes de réformes de la Fondation CH2048: «Il faudrait éviter les comparaiso­ns par pays. A quoi nous sert-il de nous comparer aux Etats-Unis? Mieux vaut prendre en considérat­ion les clusters...

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland