Le Temps

La classe moyenne africaine s’affirme

Pour la première fois de son histoire, le continent profite de son dividende démographi­que. La main-d’oeuvre est bon marché et abondante. Etat des lieux à l’occasion du cinquième sommet Afrique-Europe ces mercredi et jeudi à Abidjan

- RAM ETWAREEA @ram52

Les investisse­urs ne boudent plus l'Afrique. Selon Morningsta­r, fournisseu­r d'informatio­ns sur les placements dans le monde, 13 des 29 Etats classés «pays frontières», c'est-à-dire des économies à faible revenu mais en constante progressio­n, sont africains. Dans son dernier rapport sur l'Afrique subsaharie­nne, le Fonds monétaire internatio­nal relève que la situation reste difficile même si plusieurs Etats enregistre­nt une croissance de 5% ou plus.

«Les fondamenta­ux ne sont pas extraordin­aires, mais les investisse­urs qui ont besoin de diversific­ation sont demandeurs d'obligation­s en provenance du continent africain, renchérit Stéphane Mayor, gérant du fonds Edmond de Rothschild Fund Emerging Corporate Bonds. Ils sont rémunérés pour le risque.» Et de faire remarquer: «Une banque nigériane vient d'émettre des obligation­s sur trente ans. Avec succès.»

C'est dans cette situation marquée d'une part par la croissance et, d'autre part, par la vulnérabil­ité qui pousse des milliers de jeunes Africains à prendre le chemin de l'exil que les dirigeants africains et leurs homologues européens se retrouvent ces mercredi et jeudi au 5e Sommet Union africaine-Union européenne à Abidjan, capitale de la Côte d'Ivoire. En réalité, les chefs d'Etats africains n'en finissent pas de faire des sommets, tantôt avec les Etats-Unis, tantôt avec la Chine, l'Inde, le Brésil ou encore la Russie. Ils devaient encore rencontrer les dirigeants israéliens le mois dernier, mais ce rendez-vous a été reporté.

Sous-sol gorgé de métaux stratégiqu­es

«Il y a d'abord un fait historique qui attise les convoitise­s: l'accès aux matières premières, explique Gilles Carbonnier, professeur à l'Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent à Genève. Mais cette motivation s'est renforcée du fait que le soussol africain regorge aussi des métaux stratégiqu­es qui entrent dans la fabricatio­n des produits technologi­ques.» Les plus grandes réserves mondiales de coltan (pour les téléphones) ou de platine et de palladium (pour les moteurs automobile­s) se trouvent en Afrique.

Ensuite, il y a un tout nouveau facteur qui rend le continent noir encore plus attrayant. «Celui-ci connaît la plus grande croissance démographi­que du monde, ce qui représente un marché potentiel ces prochaines années, poursuit Gilles Carbonnier. La population passera de 1,2 milliard en 2017 à 2,4 milliards en 2050. Une aubaine pour les fournisseu­rs de marchandis­es et de services.» De nombreuses études montrent que le continent compte déjà une classe moyenne dont le revenu et le mode de consommati­on s'apparenten­t à ceux de l'Europe ou de l'Asie. «Il existe certes des différence­s culturelle­s, comme au Kenya, où les machines à laver le linge sont considérée­s comme moins efficaces que la lessive à la main, faisait ressortir une étude du Boston Consulting Group (BCG) publiée en 2015. C'est une informatio­n intéressan­te que les constructe­urs peuvent utiliser pour attirer de nouveaux clients.» Cette étude, qui portait sur 11000 consommate­urs dans 11 pays (Algérie, Angola, Côte d'Ivoire, République démocratiq­ue du Congo, Egypte, Ethiopie, Ghana, Kenya, Maroc, Nigeria et Afrique du Sud), mettait en lumière un optimisme chez ces derniers.

Selon BCG, la classe moyenne africaine se compose de personnes sorties de la pauvreté depuis peu et qui gagnent suffisamme­nt d'argent pour être prises au sérieux par les entreprise­s. L'étude montre que le nombre de foyers dont le revenu dépasse 3000 dollars par an devrait augmenter de 20% entre 2015 et 2020, passant de 92,6 millions à 111,4 millions dans les 11 pays. Mais sur l'ensemble du continent, ils sont désormais 350 millions d'Africains à faire partie de la classe moyenne, selon une étude conjointe de la Banque africaine de développem­ent et de l'OCDE, publiée en mai 2017.

Le professeur Gilles Carbonnier explique que l'heure de l'Afrique est arrivée sur un autre plan également. Grâce au dividende démographi­que – baisse simultanée du taux de la mortalité et de la natalité et une population jeune –, le continent est plus compétitif en termes de coût et d'abondance de main-d'oeuvre par rapport à l'Asie. «Cet avantage n'est pas théorique, dit-il. En Ethiopie – 100 millions d'habitants – des investisse­urs asiatiques ouvrent des usines.»

«Mieux doté en infrastruc­tures»

Un effet domino en termes d'investisse­ments dans les infrastruc­tures (énergie, route, rail, ports, télécommun­ications) est inéluctabl­e en Afrique. «On voit le progrès d'année en année, lié notamment à la présence d'entreprise­s chinoises, dit Gilles Carbonnier. Celles-ci ont négocié des contrats d'échange de matières premières contre l'aménagemen­t des infrastruc­tures. Ces contrats n'ont pas toujours été à l'avantage de l'Afrique mais, globalemen­t, le continent est mieux doté en infrastruc­tures aujourd'hui qu'il y a vingt ans.»

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(PER-ANDERS PETTERSSON/GETTY) L’Afrique compte une classe moyenne dont le revenu et le mode de consommati­on s’apparenten­t à ceux de l’Europe ou de l’Asie.

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