Le Temps

La rock star qui traduit la musique en langage des signes

- http://letm.ps/amber VIRGINIE NUSSBAUM @VirginieNu­ss

Lorsqu’elle la traduit, c’est tout son corps qui raconte la musique. Amber Galloway Gallego, Texane spécialisé­e dans l’interpréta­tion de la musique en langage des signes, sera de passage à Genève lundi pour une soirée dédiée aux notes silencieus­es

L’image est tremblotan­te, les basses assourdiss­antes et pourtant, la vidéo avait fait sensation. Nous sommes en 2013 au festival Lollapaloo­za, en plein concert du rappeur américain Kendrick Lamar. Plutôt que la star, un portable filme cette femme perchée au bord de la scène, mèche rose fluo, qui n’arrête pas de gesticuler. Aussi survoltée que la foule, Amber Galloway Gallego traduit le morceau «Fuckin’ Problems» en direct et en langage des signes. Une séquence qui sera visionnée plus d’un million et demi de fois.

Si cette performanc­e est virale, c’est qu’elle fascine par son intensité. Outre les mains qui s’agitent, Amber Galloway Gallego a la tête qui dodeline, le visage qui s’anime et les jambes qui se balancent en rythme. Tout son corps vit la musique. Un langage des signes en version augmentée dont elle a fait sa spécialité.

Riffs avec les mains

A l’origine de son approche, une frustratio­n: malentenda­nte de naissance, cette Texane découvre que les interpréta­tions de morceaux destinées aux sourds se contentent d’en traduire les paroles. Or, pour Amber, le frisson de la musique dépasse les mots. «Chaque instrument a une voix, communique. C’est eux, en harmonie avec les paroles, qui nous transporte­nt émotionnel­lement, qui touchent l’âme. Laisser cet aspect de côté serait une injustice envers la communauté sourde.»

Entre ses mains, les riffs de guitare deviennent alors des gestes étirés et placés au-dessus de la tête pour évoquer la hauteur de la tonalité, tandis que les effets de réverbérat­ion sont mimés par une moue de la bouche et les mains qui dessinent des vagues.

Particuliè­rement sensible au rap et au hip-hop, Amber G. G. s’attache aussi à transmettr­e visuelleme­nt les images et métaphores sous-entendues par les paroles. Un exercice parfois complexe. «Le rap est toujours un challenge à cause de sa cadence soutenue, et cela devient encore plus difficile si le morceau est très abstrait et que l’artiste ne souhaite pas en révéler le sens originel.» En tout cas, la Texane doit, avant chaque festival, traduire et apprendre par coeur les paroles d’une centaine de morceaux.

Courant les scènes depuis quinze ans, Amber G. G. s’est depuis muée en porte-parole de la communauté sourde, contribuan­t à sensibilis­er l’industrie de la musique à la question de son accessibil­ité.

A 40 ans, l’Américaine compte plus de 500 concerts à son actif, dont ceux de groupes phares tels que les Red Hot Chili Peppers, Snoop Dogg ou encore Adele. Et le public est emballé. «Des festivalie­rs sourds m’ont confié qu’ils avaient ressenti une vraie connexion avec la musique pour la première fois. Même les personnes entendante­s disent que j’apporte un plus à la performanc­e».

Reste que la pratique demeure assez peu courante, notamment en Suisse romande. «Il y a eu une première tentative lors du Montreux Jazz Festival cette année, mais pour un unique concert seulement», constate Susan Isko. C’est cette native de New York, interprète aux Nations unies à Genève depuis dix ans, qui a eu l’idée d’inviter la reine des signes au bout du lac. Fondatrice du label The Inner Ear, Susan Isko organise régulièrem­ent des événements novateurs destinés à surprendre et titiller les sens des Romands. «Le parcours d’Amber m’a inspirée, il illustre comment la créativité peut surpasser tous les obstacles.»

Evénement romand

En collaborat­ion avec la branche suisse de l’Associatio­n internatio­nale des interprète­s de conférence, The Inner Ear propose une performanc­e d’Amber G. G. lundi au bar Athénée 4 à Genève, à l’occasion de la Journée internatio­nale des personnes handicapée­s. L’Américaine à la mèche fuchsia interpréte­ra des morceaux joués en direct par Azania Noah & band. «J’espère que cet événement sensibilis­era les gens au travail d’Amber à travers un moment unique et émouvant.»

Au cours de la soirée, le public pourra aussi découvrir les clichés de la photograph­e lausannois­e sourde Mary Pugin ainsi que la performanc­e d’un DJ un peu particulie­r. Souffrant de surdité à plus de 90%, Robbie Wilde «scratche» les platines avec sensibilit­é grâce à un écran spécial, qui lui permet de visualiser les beats de la musique.

La musique au-delà du son avec Amber G. G., bar de l’Athénée 4, Genève, lundi 4 déc. à 19h30.

Entre ses mains, les riffs de guitare deviennent des gestes étirés placés au-dessus de la tête

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