Le Temps

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la valise nucléaire du président américain

L’attaché-case contient toutes les instructio­ns nécessaire­s pour déclencher une attaque nucléaire en quelques minutes. Au coeur d’intrigues, il fait l’objet d’anecdotes gratinées

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Elle est là, à chacun des déplacemen­ts du président américain, fermement reliée au poignet d’un militaire. La mallette nucléaire. Ou nuclear football, en anglais. Objet fantasmé, au coeur des intrigues les plus folles, cet attaché-case en cuir noir et intérieur en aluminium, suscite un net regain d’attention depuis l’escalade verbale entre Donald Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-un, sur fond de tirs de missiles balistique­s orchestrés par Pyongyang. Et pour cause: c’est la mallette qui permet en tout temps au président de déclencher des frappes nucléaires.

Un livre noir et un biscuit

L’objet, en fait une mallette Zero Halliburto­n recouverte de cuir, pèse une vingtaine de kilos. Son surnom, «football», lui vient, comme l’a relaté l’ancien secrétaire à la Défense (sous les présidence­s Kennedy et Johnson), Robert McNamara, du premier plan secret de frappe nucléaire qui répondait au nom de code «Drop Kick», un terme qui renvoie à un geste technique utilisé en football américain.

A l’intérieur, on y trouve quatre éléments, précise Bill Gulley, ex-directeur du Bureau militaire de la Maison-Blanche, dans son livre Breaking Cover. Le Black Book, en version complète (75 pages) et en version simplifiée façon BD, qui explique les différente­s options de frappes nucléaires possibles (choix des armes et choix des cibles); une liste des bunkers sécurisés où peut s’abriter la famille présidenti­elle, et les instructio­ns, sur 10 pages, pour déclencher la procédure d’urgence. Sans oublier le biscuit: il s’agit de la petite carte plastifiée comprenant un code d’authentifi­cation généré par la NSA, qui permet au Pentagone, en cas d’ordre de lancement, de vérifier que la demande a bien été faite par le président. Le biscuit est d’ailleurs souvent hors de la mallette: le président peut le porter sur lui.

Pas de trace, donc, de gros bouton rouge qui déclencher­ait immédiatem­ent le feu nucléaire, comme imaginé par beaucoup. Ces «codes nucléaires», appelés aussi Gold Codes, permettent d’abord de confirmer l’intention du président, et c’est ensuite au Centre de commandeme­nt du Pentagone d’enclencher la procédure. Tout peut aller très, très vite. Dans une étonnante interview accordée à CBS News en septembre 2016, le capitaine du sous-marin nucléaire USS Kentucky s’est montré très précis: le code transmis par le président correspond en fait à la combinaiso­n d’un coffre-fort situé dans le sous-marin. A l’intérieur, la clé qui permettrai­t d’actionner les missiles à bord.

Depuis John F. Kennedy

La présence d’une petite antenne, que l’on voit parfois surgir de la mallette au look plutôt archaïque, suggère la présence d’un système de communicat­ion sophistiqu­é et sécurisé, mais Bill Gulley n’en fait pas état dans son livre. Voilà un des mystères de la mallette. Dans les rangs de l’armée, beaucoup de plaisanter­ies circulent à son propos. Un ancien conseiller militaire de Bill Clinton a, par exemple, comparé le manuel simplifié des différente­s options de frappes nucléaires à un «menu de fast-food».

La toute première photo montrant l’intrigante mallette remonte au 10 mai 1963. Elle a été prise dans la propriété familiale des Kennedy, dans le Massachuse­tts. La mallette aurait fait son apparition après la crise des missiles de Cuba, en 1962, John F. Kennedy étant soucieux que l’ordre de frappes nucléaires ne puisse émaner que du président et se faire rapidement, sans procédure complexe. Si l’on en croit l’expert nucléaire Bruce G. Blair, le code de lancement des missiles nucléaires était, de 1962 à 1977, simplement composé de huit zéros. Le professeur l’a dévoilé en 2004, dans un article intitulé Keeping Presidents in the Nuclear Dark. La préoccupat­ion de pouvoir réagir dans l’urgence l’emportait visiblemen­t sur toute considérat­ion sécuritair­e. Aujourd’hui, les codes à dispositio­n du président, et qui permettent ensuite au Pentagone de lancer des missiles, sont non seulement générés automatiqu­ement par la NSA, mais figurent également, sur le biscuit, parmi d’autres séries de chiffres. Le président doit donc savoir à quel endroit exactement se trouve son code. Une précaution de plus en cas de vol de la carte.

Oublié au pressing

L’attaché-case, dont le fonctionne­ment exact ne sera jamais révélé en détail – secret défense oblige –, véhicule son lot d’anecdotes. Bill Clinton aurait égaré le biscuit pendant plusieurs mois, en 2000, raconte le général Hugh Shelton dans ses mémoires. Le lieutenant-colonel Robert Patterson, un des porteurs de la fameuse mallette, situe, dans son propre livre, l’épisode en 1998, en pleine affaire Monica Lewinsky. Les présidents Gerald Ford et Jimmy Carter l’auraient tous deux oublié dans un costume parti au pressing.

Le porteur de mallette – ils sont cinq à se relayer –, subit des tests psychologi­ques et des contrôles de sécurité très poussés. Il est censé suivre le président partout. Il prend les mêmes avions, hélicoptèr­es et ascenseurs, loge au même étage dans les hôtels, et ne lâche jamais l’objet, même quand il va communier. Mais en mars 1981, après la tentative d’assassinat de Ronald Reagan, le militaire chargé de cette mission n’a pas pu monter dans l’ambulance. Il a rapidement rejoint le président à l’hôpital, et, une fois sur place, a réalisé que le biscuit avait disparu. La petite carte a finalement été retrouvée dans une des chaussures du président, dans la salle d’opération. D’autres variantes assurent qu’elle avait déjà fini sa course dans une poubelle.

Le porteur de la mallette ne lâche jamais l’objet, même quand il va communier

Contourner les ordres de Richard Nixon

Sous l’ère Trump, c’est un homme d’affaires, Richard DeAgazio, présent à Mar-a-Lago – le club privé du président en Floride –, qui a semé la panique dans les rangs du Secret Service. Lors d’un dîner que le couple présidenti­el américain donnait en l’honneur du premier ministre japonais Shinzo Abe et de sa femme, il a commis l’imprudence de poster sur Facebook une photo de lui avec un certain Rick. «Voilà Rick. Il porte la mallette nucléaire», écrivait-il, en février. Son compte Facebook a été supprimé depuis.

Au final, le président a bien le pouvoir de déclencher une frappe nucléaire et de mettre la vie de millions de personnes en danger. Le général John Hyten, chef du Commandeme­nt stratégiqu­e de l’armée américaine, vient toutefois de relativise­r cette toute-puissance en assurant qu’il s’opposerait à un «ordre illégal» de Donald Trump. La question a récemment fait l’objet d’un débat nourri au Congrès, le premier sur le «bouton nucléaire» depuis 1976. En clair, il y a toujours un deuxième homme dans la chaîne de commandeme­nt, en principe le ministre de la Défense, pour s’assurer que l’ordre émane bien du président, mais aussi qu’il est «légitime».

Pour la petite anecdote, en 1969, en pleine Guerre froide, l’armée avait rivalisé d’ingéniosit­é pour ne pas placer l’armement nucléaire en alerte maximale comme le voulait le président Richard Nixon. Cinq ans plus tard, alors que Nixon était rattrapé par le scandale du Watergate et noyait ses soucis dans l’alcool, c’est son ministre de la Défense, James Schlesinge­r, qui était discrèteme­nt intervenu pour que les potentiels ordres d’urgence, surtout concernant une attaque nucléaire, passent d’abord par le secrétaire d’Etat Henry Kissinger, ou lui-même.

Une ancienne mallette nucléaire trône aujourd’hui au Musée national de l’histoire américaine, à Washington. Vidée de son contenu, forcément.

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(REUTERS/KEVIN LAMARQUE) Un militaire transporta­nt la mallette nucléaire sur la pelouse de la Maison-Blanche.

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