Le Temps

«Mon fils handicapé a reçu aux Etats-Unis l’aide qu’il n’a pas trouvée en Suisse»

Ce dimanche aura lieu la Journée mondiale du handicap. Nathalie raconte comment l’école publique américaine accueille mieux son fils de 9 ans, atteint d’une maladie génétique, que l’école genevoise avant son déménageme­nt

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MARIE-PIERRE GENECAND

«A Genève, notre fils handicapé effrayait ou, du moins, dérangeait. On a toujours eu la sensation que rien n’était prévu pour lui au niveau institutio­nnel et qu’on dépendait du bon vouloir des personnes. Depuis cinq mois qu’on est aux Etats-Unis, on respire. Non seulement, l’école publique est accueillan­te et non jugeante, mais, en plus, elle imagine des solutions pour Nicolas*, elle vient vers nous avec des propositio­ns. C’est le jour et la nuit!» Nathalie* est sidérée. Après avoir souffert d’un manque de soutien dans sa ville d’origine, pourtant soucieuse du bien-être social, c’est aux Etats-Unis, pays de la libre entreprise, qu’elle a trouvé un accompagne­ment aidant pour son enfant différent, aujourd’hui âgé de 9 ans. Elle raconte ce paradoxe qui ne cesse de l’étonner.

«Je ne veux pas lui jeter la pierre. Mais, lorsque j’ai voulu inscrire Nicolas à l’école, quelqu’un de haut placé au Départemen­t de l’instructio­n publique m’a gentiment conseillé de penser à un établissem­ent privé…» C’est ainsi, poursuit cette mère de famille. Lorsqu’on a un enfant qui souffre d’une maladie génétique rare, un syndrome qui attaque les tissus mous de l’organisme et rend sa mobilité très compliquée, on se retrouve souvent face à des profession­nels bien intentionn­és, mais extrêmemen­t démunis.

En matière de soins, de loisirs ou de scolarité, Nathalie ne compte pas les fois où, à Genève, elle a été éconduite et priée de se débrouille­r. «C’était la norme. Qu’on avait d’ailleurs intégrée. Si bien que, lorsqu’on est arrivés dans la Silicon Valley, il y a cinq mois, on imaginait recommence­r ce parcours du combattant. Ce fut tout le contraire! Depuis son premier jour à l’école publique, une brigade de spécialist­es encadre Nicolas pour que son handicap pèse le moins possible sur son apprentiss­age.»

Une équipe de choc

Et Nathalie de détailler une «équipe de choc», constituée d’une technicien­ne en informatiq­ue, d’une psychothér­apeute, d’un coordinate­ur et d’une chargée de l’intégratio­n sociale dont la seule fonction, au sein de l’établissem­ent, consiste à oeuvrer au bienêtre des enfants fragilisés. «Dans sa classe, ma fille de 7 ans a une camarade lilliputie­nne. Tout le mobilier et tous les objets – crayons, cahiers, gobelets, etc. – ont été adaptés à sa taille. Concernant Nicolas, qui écrit très lentement vu son handicap, la technicien­ne en informatiq­ue a imaginé un stylo relié à son ordinateur, qui réagit aussi à sa voix. Lorsqu’il est fatigué, il peut ainsi dicter ses notes sans s’épuiser.» Ce qui épate Nathalie, ce n’est pas qu’un tel équipement existe, mais que l’école le lui propose spontanéme­nt. «Dans ma vie d’avant, j’aurais dû déployer des efforts colossaux pour que mon fils bénéficie d’un tel outil!»

Selon la Genevoise, cette diligence institutio­nnelle est liée aux droits civils des étudiants en situation de handicap (The Civil Rights of Students With Disabiliti­es) qui, depuis 1973, prévoient une totale équité de traitement pour les élèves différents. «C’est une obsession ici, observe la quadragéna­ire. Et ça ne concerne pas que les jeunes. Ma pharmacien­ne a deux moignons à la place des mains. Elle met plus de temps pour servir les clients, forcément, mais tout le monde trouve tout à fait normal qu’elle puisse travailler et personne ne se plaint. Je trouve cette tolérance très étonnante au pays de la libre concurrenc­e.»

Transparen­ce de l’informatio­n

En effet, ça surprend. D’ailleurs, est-ce qu’une école publique du quartier de Harlem aurait la même équipe de choc pour encadrer Nicolas? «Honnêtemen­t, je ne pense pas. Vu que les écoles dépendent beaucoup des dons et du fund-raising des parents, celles de Palo Alto où nous résidons sont des Rolls Royce comparées aux écoles de régions moins dotées.» Autrement dit, la qualité de la prise en charge dépend aussi du niveau de vie.

«Oui, mais il n’y a pas que l’argent, précise la quadragéna­ire. Le regard sur le handicap diffère aussi. Ici, il n’y a pas de fausse pudeur ou de gêne par rapport à la maladie. Quand Nicolas est arrivé dans sa classe, l’enseignant a fait venir un scientifiq­ue qui a donné un cours sur la génétique pour expliquer le syndrome dont souffre notre fils. Son cas a été illustré de manière claire, au même titre que la couleur de la peau ou la nature des cheveux d’autres camarades. Les élèves ont pu poser des questions, assouvir leur curiosité, comprendre que si Nicolas a de gros problèmes moteurs, il n’a aucun problème cognitif, etc. Depuis cette mise à plat, son handicap n’a plus jamais été un sujet. A Genève, je devais sans cesse rassurer les parents ou les enfants qui entouraien­t mon fils sur le fait que sa maladie n’était pas contagieus­e… Appréciez le fossé!»

Jamais laissé de côté

Mais encore. Ce qui frappe cette mère de famille, c’est l’abolition de frontières en termes d’activités. «Etant donné ce problème de tissus mous, notre fils tient difficilem­ent debout. En outre, il ne doit pas prendre de coups, car ses organes internes sont très délicats.» Dès lors, à Genève, Nicolas restait seul à lire à 7 ans dans la classe pendant que les autres se rendaient à la gym. A Palo Alto, les enseignant­s lui ont demandé quel sport il aimait et l’ont formé comme assistant du coach sur les matches de football américain. «C’est lui qui tient les statistiqu­es, qui compte les points, qui apporte les ballons, etc. Il est fou de joie!» Idem pour les loisirs et les sorties. Le jeune garçon joue aux échecs après les cours et partira camper au printemps prochain. «Ils m’ont déjà prévenue et ça m’inquiète même un peu, sourit Nathalie, car Nicolas n’est pas autonome en matière de soins. Je peux accompagne­r la classe si je le souhaite, mais c’est exclu que mon fils ne se joigne pas au groupe! Ici, il existe vraiment un volontaris­me positif qui pousse l’enfant différent à s’intégrer.»

Y a-t-il cependant un aspect où Nicolas et sa famille ont perdu en qualité de vie? «Peut-être la profondeur des liens. Tout le monde est hypergenti­l, mais comme les gens bougent souvent à l’intérieur du pays, ils ne tissent pas de relations très sérieuses.» Cela dit, Nicolas a déjà été invité à plusieurs anniversai­res sur le sol américain, ce qui ne lui était quasiment jamais arrivé en Suisse, car les parents des autres enfants craignaien­t sa fragilité. A Palo Alto, une fois briefés par Nathalie sur ce qui est possible ou non pour lui – Nicolas est par exemple interdit de trampoline –, les parents l’accueillen­t volontiers.

«En fait, c’est très simple, résume Nathalie. Comme toutes les institutio­ns prônent l’intégratio­n, la société civile suit le mouvement.» Pareil pour la moquerie: le règlement scolaire est impitoyabl­e en la matière. Les enseignant­s américains appliquent la tolérance zéro face à tout propos ou attitude discrimina­nts. «Nicolas voit la différence, lui qui était toujours montré du doigt dans son établissem­ent genevois. Une fois, sa petite soeur a même dû se battre avec un plus grand pour le défendre… Ici, aucune moquerie, aucun regard de travers. Le citoyen américain est tellement éduqué en matière de respect des handicapés que Nicolas ne craint plus rien.»

Merci aux vétérans!

Mais, encore une fois, comment expliquer que les Etats-Unis, qui ne passent pas pour des agneaux dans le domaine social, soient si tolérants et aidants dans ce registre particulie­r? «Cette attention pourrait être liée au nombre de vétérans rentrés mutilés des diverses guerres que cette nation a menées, envisage Nathalie. Ils représente­nt un tel lobby que leurs intérêts font partie des priorités.» Le goût du risque et l’idée qu’on peut toujours s’améliorer ne contribuen­t-ils pas également à ce que les Américains voient grand pour les gens différents? «C’est vrai que Nicolas est stimulé positiveme­nt, mais sans jamais être forcé. Je me souviens qu’à Genève, une de ses enseignant­es n’admettait pas que son écriture maladroite soit liée à son handicap. Du coup, lui qui ne pouvait pas écrire une phrase correcteme­nt recevait l’ordre d’en écrire dix comme punition! Dans l’école qu’il fréquente actuelleme­nt, on ne pourrait jamais imaginer un traitement aussi aberrant. Non, je pense vraiment que, dans le domaine du handicap et sans doute dans d’autres domaines, les EtatsUnis sont en avance en ce qui concerne la tolérance de la différence.»

▅ * Prénoms d’emprunt.

«Ici, il existe vraiment un volontaris­me positif qui pousse l’enfant différent à s’intégrer» NATHALIE

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(DESSIN: POPY MATIGOT)

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