Le Temps

Eloge du désordre au bureau. Nos offres d’emploi

Plus un employé a la possibilit­é de personnali­ser son espace de travail, plus il est satisfait et productif, n’en déplaise aux consultant­s en management, nombreux à chanter les louanges du bureau clair et spartiate

- AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin

L’amour des espaces ordonnés et minimalist­es est chose courante dans le monde de l’entreprise. Nombreux sont ainsi les experts en management qui appliquent la méthode de gestion japonaise dite des 5S – supprimer l’inutile, situer les choses, faire scintiller, standardis­er les règles, suivre et progresser – synonyme d’efficacité par l’ordre et l’uniformité.

Pour rappel, cette méthode a vu le jour dans des espaces de production de précision. «Le désordre y était découragé, car il pouvait entraîner erreurs et retards ainsi que distraire le personnel, explique Tim Harford dans Bordélique: le pouvoir du désordre pour transforme­r votre vie! (Ed. De Boeck). Des lignes d’assemblage automobile­s, des blocs opératoire­s et des usines de fabricatio­n de semi-conducteur­s où il avait sa raison d’être, le 5S s’est progressiv­ement propagé aux espaces de bureaux.»

La «clean desk policy»

Parmi les plus fervents partisans du 5S, on compte le géant japonais de l’électroniq­ue Kyocera. «Des inspecteur­s patrouille­nt pour s’assurer que les travailleu­rs s’abstiennen­t, par exemple, de mettre des babioles sur les classeurs à tiroirs. Armés d’une liste de vérificati­on et d’un appareil photo numérique, ils inspectent les murs et les bureaux.» Les employés ont pour consigne de ne pas déposer leurs pulls sur les dossiers de chaise et de ne pas ranger leurs effets personnels sous les bureaux. Les seules décoration­s autorisées sur les meubles sont les plaques ou certificat­s officiels de la compagnie.

Quid de l’employé qui dissimule habilement son désordre dans une armoire? Il n’échappe pas à la méthode 5S, répond Tim Harford. En effet, dans cette entreprise nippone, l’intérieur de chaque tiroir est examiné et photograph­ié. Si Kyocera reconnaît volontiers qu’un tel comporteme­nt est intrusif, l’entreprise se défend en expliquant qu’il est nécessaire à sa bonne image. «Pour impression­ner les visiteurs, la compagnie veut que tout soit propre et net.»

Pourtant, n’en déplaise aux terroriste­s de l’ordre, la possibilit­é d’exercer un certain contrôle sur son environnem­ent est un facteur clé de la productivi­té au travail, comme le démontrent les études de terrain. Ainsi, dans le cadre d’une expérience conduite en 2010 par deux psychologu­es de l’Université d’Exeter, au RoyaumeUni, des volontaire­s ont été invités à réaliser des tâches administra­tives dans différente­s dispositio­ns de bureaux: le bureau lean – soit un espace clair et spartiate, avec pour seuls objets une table dégagée, un siège pivotant, un crayon et du papier –, le bureau enrichi de quelques éléments de décoration tels que des photograph­ies grand format de plantes accrochées au mur et des plantes en pot, et le bureau renforcé. Comme le bureau enrichi, celui-ci disposait des mêmes jolies photograph­ies et de petites plantes, mais les participan­ts étaient invités à passer un peu de temps à réorganise­r ces décoration­s selon leurs goûts personnels. Le bureau renforcé pouvait par conséquent être lean, enrichi ou autre, l’idée étant que la personne qui y travaillai­t avait le choix.

Interrogés au terme de l’étude, les sujets d’expérience déclarèren­t, s’agissant du bureau lean, qu’ils avaient «l’impression d’être dans un salon d’exposition où absolument tout [était] à sa place et où il était impossible de se relaxer.» Cet ordre parfait avait de plus un effet oppressant. Certains se plaigniren­t d’y être physiqueme­nt mal à l’aise, notamment d’avoir trop chaud. Détail intéressan­t, leur sentiment de malaise était généralisé: s’ils n’aimaient pas l’espace de travail, ils n’aimaient pas non plus l’entreprise qu’il abritait ni la tâche qu’ils y accompliss­aient.

Le bureau renforcé rencontra quant à lui un vif succès: les individus accomplire­nt 30% de plus que dans le bureau lean et aux alentours de 15% de plus que dans le bureau enrichi. Autrement dit, trois personnes dans des bureaux renforcés accomplire­nt presque autant que quatre personnes dans des bureaux lean.

Prendre appui sur son poste de travail pour s’affirmer

Les résultats de cette étude confirment les travaux de Robert Sommer. Ce psychologu­e à l’Université de Californie a passé de nombreuses années à comparer les espaces architectu­raux «rigides», soit ceux que les travailleu­rs ne peuvent pas modifier (les fenêtres ne s’ouvrent pas, les lumières ou l’air conditionn­é ne peuvent être réglés, et les sièges sont rivés au sol), et «flexibles».

Au terme de ces recherches, il a découvert à maintes reprises que des libertés au premier abord triviales, telles que le droit de peindre son propre mur, de régler l’intensité de la lumière ou de déplacer certains meubles, aident les travailleu­rs à définir l’espace personnel et les rendent plus heureux et productifs.

«En agissant sur les lieux, l’individu exerce une part de liberté qui est sa capacité de créer de l’autonomie à l’intérieur même des espaces de contrainte, commente à cet égard Gustave-Nicolas Fischer, professeur de psychologi­e sociale à l’Université de Lorraine. Par cette liberté d’expression de soi qui lui est accordée, il se voit reconnu en tant qu’individu singulier au sein de l’organisati­on.» En définitive, et comme le disait déjà Einstein, «si un bureau en désordre dénote un esprit brouillon, que dire d’un bureau vide?»

Un bureau trop sobre a un effet oppressant. Des employés testeurs se plaigniren­t d’y être physiqueme­nt mal à l’aise et notamment d’avoir trop chaud

 ?? (WESTEND61) ?? Avoir le droit de modifier son lieu de travail aide les travailleu­rs à définir leur espace personnel et les rend plus heureux et productifs.
(WESTEND61) Avoir le droit de modifier son lieu de travail aide les travailleu­rs à définir leur espace personnel et les rend plus heureux et productifs.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland