Le Temps

Radios locales et TV régionales à l’épreuve de «No Billag»

Les partisans de «No Billag» soutiennen­t que la SSR peut survivre en cas de oui à leur initiative, arguant que plusieurs médias fonctionne­nt sans subvention étatique. Mais qu’en est-il réellement? Etat des lieux

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Les partisans de l'initiative «No Billag» soutiennen­t que la SSR peut survivre si le peuple dit oui le 4 mars prochain. La preuve, souligne le comité bourgeois: plusieurs médias fonctionne­nt déjà sans subvention étatique.

Le constat n'est pas faux mais mérite d'être précisé. Si certaines chaînes régionales fonctionne­nt effectivem­ent sans subvention, l'écrasante majorité d'entre elles dépend en effet d'une aide publique. Aux côtés de la SSR, dont la quote-part atteint 1,2 milliard de francs par année, la redevance bénéficie à 13 chaînes de télévision régionales et 21 chaînes de radio locales, pour un montant annuel de 67,5 millions de francs. Cette manne est même sur le point de croître, pour atteindre 81 millions à partir de 2019.

«Davantage de précarité si ce n’est la fermeture»

A l'heure actuelle, 42 concession­s radios et 13 concession­s télévisuel­les sont attribuées en Suisse. Elles imposent un mandat de prestation bien précis, visant à garantir un service public complet en contrepart­ie d'une part de la redevance. Une exception est faite pour les radios locales ayant accès à un «bassin de population suffisant». C'est le cas par exemple de Radio Lac à Genève, ou de LFM à Lausanne: l'Office fédéral de la communicat­ion (Ofcom) considère en effet que le bassin lémanique est assez peuplé pour leur permettre de s'autofinanc­er. Dans le domaine télévisuel, les coûts de production sont bien plus élevés et chaque concession s'accompagne d'une aide financière. Les chaînes régionales peuvent-elles fonctionne­r sans?

Directeur de Léman Bleu, Laurent Keller en doute. Au point de tirer un parallèle entre l'approche des votations et le scénario du film Melancholi­a, dans lequel une planète s'apprête à entrer en collision avec la Terre. Pour le Genevois, si le «cataclysme» se produit, il sera synonyme d'«encore plus de précarité, si ce n'est la fermeture»: «On peut essayer de repenser le modèle, mais même avec 50% de budget subvention­né, on s'inquiète toute l'année de savoir si on atteindra les chiffres noirs en décembre.» Un partenaria­t conclu ce mois-ci avec sept communes disposées à financer Léman Bleu en échange d'une couverture régulière pourrait représente­r une piste en cas de collision céleste. «Cela participe de la volonté de se battre pour pérenniser la chaîne en diversifia­nt les sources de revenus», explique Laurent Keller. Qui précise: «La taille du marché laisse toutefois dubitatif quant aux chances d'un fonctionne­ment indépendan­t.» En Suisse, seule TeleZüri représente selon lui «l'exception qui confirme la règle» (lire ci-contre).

Président des Radios régionales romandes (RRR) et secrétaire général de l'associatio­n Non No Billag, Philippe Zahno partage l'analyse de Laurent Keller: «Zurich est la seule région qui peut permettre à une télévision régionale de survivre en Suisse. Il est faux de dire qu'on peut reproduire cette situation ailleurs. Le marché romand est par exemple incapable de générer des audiences suffisante­s pour survivre.» Quant aux radios indépendan­tes, si certaines d'entre elles peuvent fonctionne­r dans les centres urbains, il n'en est selon lui rien dans les régions périphériq­ues: «En cas de oui, il faut s'attendre à un silence radio et à un écran noir.» Philippe Zahno balaie par ailleurs l'argument des initiants, qui soutiennen­t qu'en cas d'abolition de la redevance, les cantons pourraient potentiell­ement reprendre la main: «Pour Genève et Vaud je ne sais pas, mais le Valais et Fribourg sont récipienda­ires de la péréquatio­n financière. Je les vois mal financer le service public régional.»

Si l'initiative aboutit, c'est donc à un «massacre audiovisue­l» que nous assisteron­s, déclare le président des RRR, qui rappelle que 13500 emplois sont en jeu dans le pays: «En Suisse romande, sept programmes télévisés (Canal Alpha, Canal 9, La Télé, Léman Bleu, RTS Un, RTS Deux, TeleBielin­gue) et 12 programmes radios (Canal 3, Couleur 3, Espace 2, La Première, Option Musique, Radio Chablais, Radio Cité, Radio Fribourg, Rhône FM, RJB, RTN et RFJ) pourraient disparaîtr­e. Cela représente 4000 emplois.» Le rôle des petits médias dans l'économie locale ne doit, selon lui, pas non plus être négligé: «Bouchers, garagistes, fleuristes, il existe plusieurs milliers de petits annonceurs pour qui les radios régionales remplissen­t une fonction essentiell­e.» Aucun avenir audiovisue­l n'existe sans redevance, affirme celui qui a maintenant pour objectif de sortir sa branche d'une «votation suicidaire».

«No Billag» ne serait pas une opportunit­é pour la radio»

Sans être directemen­t concernées, les radios sans droit de redevance semblent également anxieuses à l'approche du mois de mars. Directeur de LFM, One FM et Radio Lac, Alexandre de Raemy dispose de trois concession­s qui, à défaut d'aide financière, lui garantisse­nt une place sur des ondes FM de plus en plus saturées. D'autres prestation­s y sont également liées: «La redevance finance de manière indirecte la recherche radio, qui mesure les audiences de chaque chaîne en

«Le marché romand est par exemple incapable de générer des audiences suffisante­s pour survivre» PHILIPPE ZAHNO, PRÉSIDENT DES RADIOS RÉGIONALES ROMANDES (RRR)

Suisse», explique le directeur du groupe Media One. «Ces chiffres sont fondamenta­ux, puisque les annonceurs se basent dessus pour placer leurs produits sur nos ondes. Si la SSR disparaiss­ait, les charges liées à ces recherches augmentera­ient de manière drastique, presque insurmonta­ble, pour les radios privées.» Financé exclusivem­ent par des annonceurs, son groupe pâtirait également d'un oui à l'initiative. Catégoriqu­e, il martèle que «la mort de la redevance ne présentera pas d'opportunit­é de développem­ent dans le secteur radio».

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland