Le Temps

Moussa Mara, l’affranchi de la politique malienne

- CAMILLE LAVOIX, BAMAKO @CamilleLav­oix

AFRIQUE Le Mali vient de repousser, une nouvelle fois, les élections régionales initialeme­nt prévues le 17 décembre. Dans un contexte où la démocratie semble en panne, rencontre avec Moussa Mara, ancien premier ministre et candidat à ces élections ainsi qu’à la présidenti­elle de 2018

Il faudra attendre encore quatre mois, jusqu'en avril 2018, pour que les Maliens puissent se rendre aux urnes. Le gouverneme­nt a annoncé cette décision dans la nuit de dimanche à lundi afin de promouvoir des élections locales «inclusives et apaisées». La situation reste floue au Mali – l'occasion de faire le point avec l'un des candidats.

Moussa Mara reçoit dans son cabinet d'expert-comptable, à ACI2000, l'un des seuls quartiers goudronnés de Bamako, et petit temple des affaires. Sur sa carte de visite, tendue lestement, «ancien premier ministre» figure en bonne place. Ce poste, qu'il a occupé quelques mois seulement, à tout juste 39 ans, lui a-t-il donné une stature exceptionn­elle, ou a-t-il gâché ses chances de devenir président du Mali? Confiant, l'homme table sur la première option et se présente à l'élection présidenti­elle de 2018, en espérant qu'elle ne soit pas elle aussi repoussée.

Moussa Mara est resté discret sur les réseaux sociaux, même s'il continue de les alimenter avec sa tournée de campagne. Mais il n'hésite pas à qualifier le report du scrutin de «mauvais signal envoyé au pays et à ses partenaire­s. Cela indique au moins que le gouverneme­nt n'est pas en mesure de respecter les dates qu'il fixe lui-même pour organiser les votes. C'est le cinquième report de ces élections [locales].»

Né politiquem­ent en 2007 en affrontant aux législativ­es celui qui est aujourd'hui le président du Mali – Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK –, Moussa Mara est rapidement passé de maire à ministre de l'Urbanisme, puis à chef du gouverneme­nt. Tour à tour élevé et destitué par le président qu'il appelait «tonton», le «fiston» est surtout connu pour l'épisode de Kidal.

«Aucun décideur ne peut dire qu’il y a une autre priorité que la sécurité»

MOUSSA MARA, ANCIEN PREMIER MINISTRE MALIEN, CANDIDAT À LA PRÉSIDENTI­ELLE

Audace ou débâcle?

Kidal est une ville du nord du Mali, tombée au début de la guerre, en 2012, sous la coupe des rebelles touareg puis des djihadiste­s. Malgré l'interventi­on française en 2013, puis celle des Casques bleus, ce grand désert est resté un carrefour accueillan­t tous les types de trafics, près du Niger et de l'Algérie. En 2014, voulant acter la reconquête du territoire par l'armée malienne et les militaires internatio­naux, Moussa Mara décide, alors premier ministre, de se rendre à Kidal, ce que tous les autres politicien­s avaient renoncé à faire.

Fanfaronna­de inutile ou acte de bravoure? Toujours est-il que Moussa Mara a été accueilli par une salve de balles, dont il a réchappé, mais qui a tué plusieurs soldats et officiels maliens. Le tout dans un contexte où la mission de l'ONU au Mali (Minusma) est l'une des plus meurtrière­s de l'histoire, avec plus de 133 soldats tués, et de nombreuses critiques pointant son inefficaci­té malgré un budget annuel d'un milliard de dollars. L'épisode a, dans tous les cas, signé la fin de la lune de miel de Moussa Mara avec le président et sa sortie du gouverneme­nt, mais l'a confirmé comme un homme qui lève les non-dits.

«Stopper la descente aux enfers»

«Aucun décideur ne peut dire qu'il y a une autre priorité que la sécurité. Il faut résoudre cette crise du Nord, cette descente aux enfers faite de rébellions, de terrorisme et de trafic de drogues», affirme-t-il. Sa méthode? «Pas les rançons, en tout cas», répond-il à l'évocation du sort de l'otage suisse Béatrice Stockly, enlevée à Tombouctou en janvier 2016 et aperçue dans une vidéo en juillet dernier.

En dehors du discours sécuritair­e, Moussa Mara se nourrit d'influences très diverses. Ce n'est pas par hasard qu'il est tombé dans la marmite politique au retour de ses études en France: son père était l'un des officiers du coup d'Etat de 1968, puis le ministre de la Justice, ironiqueme­nt envoyé dans un bagne dont il avait signé le décret d'ouverture.

Moussa a grandi dans la famille maternelle à Bamako – des commerçant­s aisés. Il vit d'ailleurs toujours chez sa mère. Issu d'un père chrétien, d'une mère musulmane remariée à un Touareg, l'homme navigue aisément dans toutes les eaux, même troubles. Il a par exemple défendu l'achat d'un avion présidenti­el, accusé d'avoir été surfacturé et acquis via Michel Tomi, considéré comme le dernier des parrains corses en Afrique.

Connu pour ratisser large et frapper à toutes les portes – des jeunes mouvements civiques anti-corruption jusqu'aux religieux –, il est qualifié d'homme de «réseaux» ou de «ni, ni», c'est selon. Ni vraiment dans la majorité présidenti­elle, ni totalement dans l'opposition. Opposition d'ailleurs ultra-fragmentée, d'où n'émerge aucun leader.

Sans fard, droit dans son costume, il assène: «Actuelleme­nt, au Mali, c'est une politique de droite, du FMI, de la Banque mondiale, car nous ne sommes pas indépendan­ts économique­ment.» Est-il de droite? Un peu moins direct dans sa réponse, Moussa Mara préfère citer Deng Xiaoping (1904-1997), le communiste qui a ouvert la Chine au capitalism­e avec son fameux: «Peu importe qu'un chat soit noir ou blanc, pourvu qu'il attrape les souris.»

«Droite Macron»

Après un peu d'insistance, il finit par lâcher, en se penchant sur son large fauteuil en cuir: «Bon, droite Macron.» Le Malien, coaché par Marc Bousquet, un communican­t proche de François Fillon, a ainsi rencontré, mi-septembre, Franck Paris, le conseiller Afrique d'Emmanuel Macron, et Rémi Maréchaux, directeur du Départemen­t Afrique au Ministère des affaires étrangères. Un autre candidat, Soumaïla Cissé, faisait de même, lors d'un récent déplacemen­t en France.

Moussa Mara est président d'un nouveau mouvement qu'il a lui-même créé: le parti Yelema – c'est-à-dire «changement» en langue bambara. Quels changement­s alors, pour un pays aux deux tiers désertique­s, frappé par la sécheresse, et où la malnutriti­on tue plus que les balles? «Les agriculteu­rs doivent être considérés comme des entreprise­s, avoir accès aux intrants chimiques», répond-il. 80% des Maliens actifs travaillen­t dans le secteur agricole, une question centrale pour le pays.

Priorité à l’économie

Quid de l'écologie? «Je n'ai pas d'opinion arrêtée, je suis comptable, je raisonne en termes de productivi­té. Faire en sorte que les agriculteu­rs aient plus de revenus est prioritair­e sur la protection des sols.» Les engrais, à l'origine du financemen­t de nombreux partis, sont subvention­nés par l'Etat malien et distribués à ceux qui cultivent le coton avec la CMDT, l'entreprise nationale, qui est justement un ancien client du cabinet de Moussa Mara.

Certains chercheurs pointent du doigt ce système, qui pousse les agriculteu­rs à vendre au lieu de planter pour manger. Réaction de l'intéressé: «On peut les sensibilis­er, mais il faut mettre les gens devant leur responsabi­lité, l'Etat ne peut pas les obliger à se nourrir s'ils préfèrent gagner plus. Leur liberté est fondamenta­le.»

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