Le Temps

Un milliardai­re zurichois dans la tempête

PORTRAIT Urs Schwarzenb­ach, qui a redonné son lustre à l’hôtel Dolder Grand à coups de millions, est accusé d’avoir importé au moins 150 oeuvres d’art illégaleme­nt. Le Zurichois se défend et se décrit comme un simple collection­neur passionné

- CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

Matisse, Picasso, Malevitch, Modigliani, Man Ray, Yves Klein, Gerhard Richter, Niki de Saint Phalle, Keith Haring… La liste d’oeuvres d’art que possède Urs Schwarzenb­ach est une promenade dans les grands moments de l’art moderne et contempora­in. Ce n’est pas pour l’histoire de l’art que les autorités douanières ont tenté d’inventorie­r la collection du milliardai­re zurichois. Mais pour y traquer la fraude.

L’homme, surtout connu comme propriétai­re de l’hôtel de luxe zurichois Dolder Grand et pour ses apparition­s dans la liste des 300 plus riches de Suisse de Bilanz (fortune estimée entre 1,5 et 2 milliards de francs), est dans le viseur de la Direction générale des douanes (DGD).

Un nouvel épisode de ce feuilleton judiciaire qui tient en haleine la presse zurichoise s’est déroulé devant le Tribunal de district de Bülach cette semaine: Urs Schwarzenb­ach a dû s’expliquer sur l’importatio­n non déclarée de 123 oeuvres. On lui reproche aussi d’avoir sous-évalué la valeur de 27 autres pièces à l’aide de factures fallacieus­es. Il aurait ainsi épargné plus de 10 millions de frais de TVA, sur un trésor estimé à au moins 130 millions de francs. La DGD réclame une amende record de 4 millions de francs.

Un village en Angleterre, un palais au Maroc

Fils d’imprimeur né en 1948, Urs Schwarzenb­ach partage une lointaine parenté avec l’auteur des initiative­s du même nom contre la population étrangère. Mais lui ne se mêle pas de politique. Il préfère le polo (on raconte qu’il joue avec le prince Charles) et les courses de chevaux. En Suisse romande, il est surtout connu pour avoir financé Nino des Buissonnet­s, le cheval devenu star, qui a permis au Jurassien Steve Guerdat de remporter une médaille d’or olympique en 2012.

Urs Schwarzenb­ach a fait fortune dans le commerce de devises. Au début des années 1970, il part travailler à Londres pour la Société de Banque Suisse. L’Angleterre est devenue, depuis, sa deuxième patrie. Il y possède plusieurs propriétés, ainsi qu’un village bucolique, Hambleden, acquis pour 38 millions de livres. Son patrimoine compte aussi une villa à Saint-Moritz et un palais au Maroc.

Ce n’est qu’au début des années 2000, lorsqu’il reprend l’hôtel Dolder Grand, un cinq-étoiles perché sur le Züriberg, que le discret milliardai­re commence à faire parler de lui. On s’interroge sur cet homme jusqu’ici méconnu, qui s’est mis en tête de redonner son lustre à un fleuron historique de l’hôtellerie zurichoise. Urs Schwarzenb­ach engage l’architecte star britanniqu­e Norman Forster et investit pas moins de 500 millions dans la mue de l’établissem­ent. L’hôtel, qui a vu passer Winston Churchill, le shah d’Iran, Sophia Loren, Bill Clinton, ou encore les Rolling Stones, n’a jamais cessé de fasciner. C’est là qu’Urs Schwarzenb­ach expose une partie de sa vaste collection d’art. Là aussi qu’en mars dernier, les autorités douanières ont mené une perquisiti­on spectacula­ire, décrochant trente oeuvres des murs de l’hôtel, sous les yeux médusés des clients.

Urs Schwarzenb­ach entre dans les radars des autorités le 20 septembre 2012. Il revient d’un voyage avec son jet privé et sort de l’aéroport de Zurich en empruntant le couloir vert «rien à déclarer». Avec lui, il transporte le tableau An Ancient Custom d’Edwin Long, d’une valeur de 302400 francs, ainsi qu’une boîte antique en cuivre et émaux en forme d’éléphant, d’une valeur de 11372 francs, détaille l’acte d’accusation de 75 pages. Plus tard, il expliquera qu’il n’a pas voulu se soustraire aux taxes, mais «gagner du temps» en évitant des «procédures administra­tives ennuyeuses».

Des déclaratio­ns qu’il a répétées, en substance, devant le tribunal cette semaine. L’homme s’est présenté à son procès vêtu d’un costume sobre, flanqué des ses conseiller­s et avocats. Détendu, entre deux audiences, il évite les journalist­es mais ne se prive pas de quelques éclats de rire tonitruant­s avec sa garde rapprochée. Après tout, ce n’est pas la première, ni la dernière fois qu’il affronte un juge.

Dans le cadre d’une autre procédure, l’Administra­tion fiscale du canton de Zurich, soupçonnan­t le milliardai­re de réaliser un commerce d’oeuvres d’art non déclaré depuis sa villa zurichoise, a exigé des arriérés d’impôts et gelé 220 millions de francs sur un compte en Suisse, à titre préventif. Fin novembre, le tribunal zurichois a donné raison au fisc et ordonné le paiement d’un montant de 150 millions de francs, comme le rapportait dimanche dernier la SonntagsZe­itung. Une décision contre laquelle Urs Schwarzenb­ach compte faire recours.

Via son avocat, le milliardai­re dénonce un acharnemen­t des autorités, fustige le manque de preuves de l’accusation et, finalement, réclame l’acquitteme­nt. Celui que les autorités soupçonnen­t d’être un marchand d’art fraudeur se décrit comme un simple collection­neur passionné. Quant aux oeuvres, elles ne lui appartiend­raient même pas, dit-il, tout en restant laconique sur les propriétai­res supposés des pièces. Quand l’occasion se présente dans les médias, et pas plus tard que cette semaine devant le juge, il se plaint de sa «situation financière très difficile» de «rentier de l’AVS». Une ligne de défense surprenant­e, pour cet homme qui, en pleine procédure, continuait de faire venir en Suisse des oeuvres non déclarées en jet privé.

A la douane, il voulait «gagner du temps» en évitant «des procédures administra­tives ennuyeuses»

 ?? (RENÉ RUIS) ?? Urs Schwarzenb­ach à Zurich. L’homme est surtout connu comme propriétai­re de l’hôtel de luxe Dolder Grand et pour ses apparition­s dans la liste des 300 plus riches de Suisse, selon «Bilanz».
(RENÉ RUIS) Urs Schwarzenb­ach à Zurich. L’homme est surtout connu comme propriétai­re de l’hôtel de luxe Dolder Grand et pour ses apparition­s dans la liste des 300 plus riches de Suisse, selon «Bilanz».

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