Le Temps

Une expo annulée crée le malaise

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Les clichés de l’artiste Ashley Moponda représenta­nt un couple noir ont été retirés du restaurant Le Raisin, à Lausanne, peu après le vernissage. Un imbroglio aux accents discrimina­toires, selon la photograph­e. L’établissem­ent dément

C’est l’histoire d’une exposition qui a tourné court. En cause? Un malentendu, une clause non respectée ou encore un choc des cultures, selon les explicatio­ns des parties concernées. Inaugurée mardi au restaurant Le Raisin, le projet photograph­ique Black Love, mettant en scène un couple afro-européen, devait en principe durer jusqu’en janvier 2018. Il a finalement été stoppé mercredi. Un «gros gâchis» pour l’artiste lausannois­e de 25 ans Ashley Moponda, qui s’estime discriminé­e. Une accusation fermement démentie par l’historique établissem­ent lausannois, qui met régulièrem­ent ses murs à dispositio­n des artistes.

Originaire de la République démocratiq­ue du Congo et née en Suisse, Ashley Moponda assume sa double culture. Sa première exposition, Melanin Love, est consacrée aux descendant­s afros de Suisse. Hommes, femmes et enfants sont photograph­iés séparément. Black Love incarne un second temps, celui de l’union. Avec son objectif, la jeune femme capture l’intimité, la complicité d’un couple noir. L’enjeu? «Mettre en avant sa communauté.»

Lorsque la chargée de communicat­ion du restaurant situé place de la Palud l’approche en 2016, Ashley Moponda est flattée. «Un restaurant chic, au coeur de ma ville, cela faisait sens», explique-t-elle par téléphone. Les rencontres s’enchaînent jusqu’au vernissage du 23 novembre auquel assistent quelque 80 personnes. Contre toute attente, le «malaise» est au rendez-vous.

«Le restaurant n’était pas préparé à ce que mon message soit aussi fort et aussi entendu, juge Ashley. La dimension politique de mon discours a gêné, mes invités ne se sont pas sentis accueillis. Au final, Le Raisin m’a fait comprendre que mon travail ne correspond­ait pas à l’image du restaurant.» Un brusque revirement qu’elle explique par un «manque de communicat­ion». «Cette expérience est décevante, pour ne pas dire humiliante, conclut la photograph­e. Cela ne devrait pas arriver. Lorsqu’on accueille un artiste, on l’accepte comme il est. Il n’y a pas besoin de nommer le racisme pour le ressentir.»

La responsabl­e de l’établissem­ent, Maria, a une autre interpréta­tion. «Les vernissage­s sont prévus pour 20 à 30 personnes. Ce jour-là, il y avait tellement de monde qu’on n’arrivait simplement plus à bouger. C’était pourtant précisé dans le contrat.» La patronne répète qu’elle n’a rien contre les photos d’Ashley Moponda, mais que celles-ci étaient «toutes petites et grossièrem­ent fixées au mur avec de la patafix». Le retour des clients a, selon elle, confirmé le style «affiches de rue».

Pour la coordinatr­ice Adeline Frascotti, qui a joué les intermédia­ires, des difficulté­s sont survenues bien plus en amont. «Le concept d’Ashley n’était pas abouti, raconte-t-elle. Je l’ai aidée à aller au-delà du shooting, à construire un vrai projet. Nous avions convenu que les photograph­ies seraient suspendues au mur pour mimer la dispositio­n des magazines, dans lesquels les femmes noires sont très peu représenté­es. A quelques jours de l’événement, Ashley Moponda m’a annoncé qu’elles seraient simplement collées au mur. J’ai senti que ça allait être compliqué.»

Si la jeune femme reconnaît une part de responsabi­lité, elle réfute un quelconque racisme sous-jacent. «Cela n’a strictemen­t rien à voir avec la couleur de peau. Le soir du vernissage, Le Raisin a offert le double d’apéritifs que prévu et allongé l’horaire imparti. A la fin, le propriétai­re était d’accord pour garder les photos, mais Ashley n’a pas donné suite.»

A la recherche d’un nouveau lieu d’exposition, Ashley entend quant à elle tirer les leçons de cet imbroglio. «L’art de la communauté afro-européenne doit pouvoir s’exprimer.»

Une des images de l’exposition «Black Love».

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(ASHLEY MOPONDA)

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