Thanatos derrière la cravate
Alors que j’en étais tranquillement à me demander comment accueillir le dernier triple axel d’Eric Stauffer (et ignorant encore que Yannick Buttet serait élu démocrate-chrétien de l’année), mon quotidien fut stoppé net mercredi, en fin de matinée. Plein cadre sur mon fil Twitter, entre Donald Trump et Darius Rochebin, un vieil homme en costume croisé se donnait la mort en direct, comme on avale une vodka caramel. Gros malaise.
A 11h35 ce 29 novembre, Slobodan Praljak ingurgitait le contenu d’une fiole de poison devant les juges du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui venaient de confirmer sa condamnation pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. L’ancien officier croate de Bosnie mourait quelques instants plus tard à l’Hôpital de La Haye, laissant Twitter, la planète et votre serviteur se débrouiller avec sa funeste révérence.
Sidération parfaite devant l’anachronisme de ce geste total et théâtral. Surgie d’un autre temps, une large trogne violacée venait de prendre à contre-pied le monde et sa frénésie d’un geste précis et grave. Une déclaration solennelle, une petite respiration et hop, Thanatos derrière la cravate! Du tragique de première qualité, millésimé et non filtré, Shakespeare aurait kiffé.
Là où il est, s’il est quelque part, Slobodan Praljak peut se frotter les mains: il a doublement réussi sa sortie. Parce qu’il faut bien l’admettre, le Croate trottinait jusque-là dans le gros du peloton des salauds, loin derrière les vedettes. Mladic, Karadzic, tout monde connaît. Mais Praljak? La mémoire collective l’avait un peu maltraité. Le voilà indéniablement réhabilité par la grâce des réseaux sociaux. Personne n’a échappé à l’image; personne n’oubliera jamais le vieux barbu et son shot fatal.
Voilà pour la postérité. Reste le message. Presque plus terrifiant encore. Un suicide en direct à la dernière scène du dernier acte du TPIY: les défenseurs de la justice pénale internationale ne pouvaient pas imaginer pire clap de fin. Vingt-cinq ans de combat, de procédures impossibles, de persévérance, et voilà que le tout dernier criminel s’offre le statut de martyr en quelques secondes, juste avant le baisser de rideau, dans un dernier bras d’honneur. Chapeau l’artiste…
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