UN «REQUIEM» TOUT NEUF
Le jeune compositeur PierreHenri Dutron a réaménagé avec René Jacobs la célèbre messe des morts de Mozart. Un nouvel enregistrement témoigne de cette aventure
Ce qui frappe d’emblée, c’est la clarté. L’articulation nette et aérée de l’orchestre allégé. Le moelleux et l’allant du choeur ainsi que la limpidité de la prise de son. Une interprétation de plus du fameux
Requiem de Mozart? Pas vraiment. Car si on doit l’«Introitus» à la seule main de Mozart, les parties chorales, des extraits d’orchestrations, la basse continue et certaines lignes vocales ont été dessinés jusqu’au «Sanctus». A partir de cette dixième partie (sur quinze), c’est le noir.
Plus du tiers de l’oeuvre s’avère ainsi de diverses factures à travers les époques. On comprend que cette partition inachevée repré- sente un véritable casse-tête pour les musicologues.
Si l’oeuvre a traversé les siècles avec le succès que l’on sait, c’est beaucoup grâce à Franz Xaver Süssmayr. Le jeune compositeur, élève de Salieri, est un collaborateur de Mozart. Bon connaisseur de sa musique, il est pourtant jugé médiocre créateur par le chef René Jacobs, qui dirige le Rias Kammerchor et le Freiburger Barockorchester.
Après diverses tentatives auprès de compléteurs potentiels pour pouvoir payer ses fins de mois difficiles avec le Requiem achevé, Constance confie finalement à Süssmayr le soin de compléter ce que la mort a empêché Mozart de terminer. C’est-à-dire une grande partie de l’ouvrage que le jeune musicien met moins d’un mois à faire…
Le travail d’enquête auquel s’est livré Pierre-Henri Dutron constitue le véritable intérêt de cette nouvelle version qui vient de sortir chez Harmonia Mundi. Et le livret d’accompagnement du disque en est le compte rendu passionnant. Un texte qui se lit comme un polar, casque sur les oreilles ou pas.
La renaissance de ce Requiem prend ses origines dans l’étude du manuscrit original et des différentes complétions, depuis la première, partielle et anonyme, attribuée à Franz Jacob Freystädtler pour l’enterrement de Mozart. Puis vient une véritable réalisation de Joseph Leopold Eybler dont Pierre-Henri Dutron estime qu’elle constitue le squelette de l’orchestration «plus ou moins recopiée» et transformée par Süssmayer.
En s’inspirant des recherches des différentes propositions avancées jusqu’à aujourd’hui, le jeune compositeur a réalisé un travail porté avec passion et talent par René Jacobs, son orchestre, le choeur et les quatre solistes en jeu: la soprano Sophie Karthaüser, l’alto MarieClaude Chappuis, le ténor Maximilian Schmitt et le baryton Johannes Weisser. Autant dire un quatuor vocal de luxe. Cette version revivifiée surprend par sa juvénilité. Quant aux cinq dernières parties, elles offrent un visage simple et inédit de la célèbre partition. Une rénovation aussi délicate que décapée, sensuelle et fervente, à ajouter sans hésiter à sa discothèque.