Maîtriser le chocolat de la fève à la plaque, une mission de couple
«On a vendu nos deux voitures pour continuer à créer du chocolat. Mais ça va le faire» Fondateurs d’une agence de marketing horloger, ils se sont convertis à la fève de cacao. Depuis leur maison où ils ont importé des machines des quatre coins du monde, i
Dès le pas de sa porte, il évoque tour à tour un faux discours du roi belge Léopold II (récemment repris dans la presse), les fincas espagnoles produisant leur huile en coopérative et le prix de la dernière tablette de chocolat qui «ne respecte pas le cacao». François-Xavier Mousin est un bavard, un touche-à-tout qui peut faire plusieurs fois le tour du monde en une conversation.
Il embraye sur l’hypocrisie d’une grande marque chocolatière qui finance la scolarité de quelques élèves latino-américains mais refuse de payer le salaire minimum dans les plantations de cacao ivoiriennes. Si la conversation s’attarde sur le chocolat, c’est que l’ancien communicant vient de lancer, avec sa compagne Caroline Buechler, sa propre marque, Orfève.
Une production confidentielle
Depuis sa nouvelle maison de Thônex (GE), à deux pas de la frontière française, le couple importe, transforme et emballe ses plaquettes de chocolat dans du papier d’alu. «On fait la marmotte», comme dit Caroline Buechler. De la fève de cacao à la tablette, ou «bean-to-bar», selon l’appellation anglo-saxonne.
Dans un coin de la pièce, des sacs de fèves venus du Pérou, de Colombie ou de Madagascar attendent patiemment un meilleur sort. «Le grand problème avec le cacao, c’est que la production est le fait de millions de petits producteurs, professe François-Xavier Mousin. Alors que la transformation de fèves est concentrée entre les mains de trois acteurs.» L’américain Cargill (dirigé depuis Genève), le zurichois Barry Callebaut et le singapourien Olam achètent 65% de la production mondiale.
L’atelier Orfève ne dépasse, lui, pas les 10 kilos de chocolat par jour. Une production quasiment confidentielle, disponible sur quatre points de vente à Genève et Lausanne ou sur réservation, mais «facilement modulable», précise François-Xavier Mousin. «Bien sûr, ce n’est pas ce qui va révolutionner le marché. On avait juste envie de faire quelque chose à notre niveau», confie celui qui dit avoir effectué son apprentissage chocolatier via un mélange de rencontres, d’échecs et d’expériences.
Pas de chocolat à la veille du salon
En termes d’expériences, celle vécue autour de la constitution du parc de machines a été plutôt formatrice. Le seul fournisseur suisse proposait une mini-usine peu flexible et onéreuse: plus d’un million de francs pour une production industrielle de 1500 à 2000 kilos par jour. «Il n’y avait que très peu de possibilité d’intervention humaine dans le processus, détaille-t-il. Une fève Nacional Arriba ce n’est pourtant pas la même chose qu’une variété Gran Blanco.»
Les apprentis chocolatiers ont donc importé un torréfacteur d’Israël, un casse-cacao et une conche (brassage de la pâte) de Russie et une tempéreuse d’Italie. Ce qui n’est pas allé sans quelques frayeurs. La veille du Salon international de la haute horlogerie (SIHH), en janvier dernier, le couple n’avait encore produit aucune des 500 plaquettes qu’il était supposé livrer à leur client. La faute aux difficultés logistiques et à des machines peinant à se mettre en route. «Les premières plaques sont sorties vers 2h du matin. On s’en est tiré en livrant une centaine chaque jour pendant le salon», se souvient Caroline Buechler.
Il est beaucoup question d’horlogerie durant leur parcours. Le couple s’est rencontré il y a une décennie chez le détaillant horloger Les Ambassadeurs, et ne s’est plus quitté depuis. Ensemble, ils ont lancé leur propre agence de marketing Opus Magnum. Un «hasard de parcours», lâche celui qui a commencé sa carrière dans le monde viticole valaisan. «Un choix par défaut», ajoute-t-elle. Avant de développer:
«Dans le marketing notre tâche était surtout de raconter une histoire autour des produits. Nous voulons maintenant vendre quelque chose que nous avons créé, qui est passé entre nos mains.» C’est que les anciens communicants ont aussi une âme de bricoleurs.
Lampe pour poussins
Il a pourtant fallu passer par d’autres épreuves. Les voisins de leur bureau de Champel où était basé Opus Magnum n’ont, par exemple, pas supporté l’odeur de la torréfaction. Le couple avait installé sa première micro-usine dans cet immeuble du XIXe siècle avant de la déplacer dans une annexe de sa nouvelle maison. Moyennant quelques aménagements: l’installation d’un lavabo industriel, de la climatisation ou d’une lampe pour poussins pour chauffer «artisanalement» le chocolat. Mais surtout: la construction d’une paroi pour séparer la partie sèche du local – où l’on stocke et travaille la fève –, de la partie humide, où le grué est transformé en masse par des meules de granit.
Des travaux considérables sachant que la maison doit être démolie dans un an pour laisser place à un quartier plus densifié. Mais le couple – qui rêve d’installer son atelier en vieille ville – tenait absolument à se lancer pour maîtriser au plus vite toutes les étapes de la production de chocolat. «Dans le secteur, beaucoup jouent sur les ambiguïtés en faisant croire qu’ils travaillent la fève. En réalité, ils sont davantage «transformateurs» puisqu’ils s’approvisionnent en chocolat auprès de couverturiers.»
Pour commencer à tourner, le couple devrait vendre 40000 plaques par an, soit 3000 kilos. Il en est encore qu’au début, mais tous deux sourient: «On a vendu nos deux voitures pour continuer à créer du chocolat. Mais ça va le faire.» C’est aussi ça les vertus du chocolat.
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