Le Temps

Maîtriser le chocolat de la fève à la plaque, une mission de couple

«On a vendu nos deux voitures pour continuer à créer du chocolat. Mais ça va le faire» Fondateurs d’une agence de marketing horloger, ils se sont convertis à la fève de cacao. Depuis leur maison où ils ont importé des machines des quatre coins du monde, i

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

Dès le pas de sa porte, il évoque tour à tour un faux discours du roi belge Léopold II (récemment repris dans la presse), les fincas espagnoles produisant leur huile en coopérativ­e et le prix de la dernière tablette de chocolat qui «ne respecte pas le cacao». François-Xavier Mousin est un bavard, un touche-à-tout qui peut faire plusieurs fois le tour du monde en une conversati­on.

Il embraye sur l’hypocrisie d’une grande marque chocolatiè­re qui finance la scolarité de quelques élèves latino-américains mais refuse de payer le salaire minimum dans les plantation­s de cacao ivoirienne­s. Si la conversati­on s’attarde sur le chocolat, c’est que l’ancien communican­t vient de lancer, avec sa compagne Caroline Buechler, sa propre marque, Orfève.

Une production confidenti­elle

Depuis sa nouvelle maison de Thônex (GE), à deux pas de la frontière française, le couple importe, transforme et emballe ses plaquettes de chocolat dans du papier d’alu. «On fait la marmotte», comme dit Caroline Buechler. De la fève de cacao à la tablette, ou «bean-to-bar», selon l’appellatio­n anglo-saxonne.

Dans un coin de la pièce, des sacs de fèves venus du Pérou, de Colombie ou de Madagascar attendent patiemment un meilleur sort. «Le grand problème avec le cacao, c’est que la production est le fait de millions de petits producteur­s, professe François-Xavier Mousin. Alors que la transforma­tion de fèves est concentrée entre les mains de trois acteurs.» L’américain Cargill (dirigé depuis Genève), le zurichois Barry Callebaut et le singapouri­en Olam achètent 65% de la production mondiale.

L’atelier Orfève ne dépasse, lui, pas les 10 kilos de chocolat par jour. Une production quasiment confidenti­elle, disponible sur quatre points de vente à Genève et Lausanne ou sur réservatio­n, mais «facilement modulable», précise François-Xavier Mousin. «Bien sûr, ce n’est pas ce qui va révolution­ner le marché. On avait juste envie de faire quelque chose à notre niveau», confie celui qui dit avoir effectué son apprentiss­age chocolatie­r via un mélange de rencontres, d’échecs et d’expérience­s.

Pas de chocolat à la veille du salon

En termes d’expérience­s, celle vécue autour de la constituti­on du parc de machines a été plutôt formatrice. Le seul fournisseu­r suisse proposait une mini-usine peu flexible et onéreuse: plus d’un million de francs pour une production industriel­le de 1500 à 2000 kilos par jour. «Il n’y avait que très peu de possibilit­é d’interventi­on humaine dans le processus, détaille-t-il. Une fève Nacional Arriba ce n’est pourtant pas la même chose qu’une variété Gran Blanco.»

Les apprentis chocolatie­rs ont donc importé un torréfacte­ur d’Israël, un casse-cacao et une conche (brassage de la pâte) de Russie et une tempéreuse d’Italie. Ce qui n’est pas allé sans quelques frayeurs. La veille du Salon internatio­nal de la haute horlogerie (SIHH), en janvier dernier, le couple n’avait encore produit aucune des 500 plaquettes qu’il était supposé livrer à leur client. La faute aux difficulté­s logistique­s et à des machines peinant à se mettre en route. «Les premières plaques sont sorties vers 2h du matin. On s’en est tiré en livrant une centaine chaque jour pendant le salon», se souvient Caroline Buechler.

Il est beaucoup question d’horlogerie durant leur parcours. Le couple s’est rencontré il y a une décennie chez le détaillant horloger Les Ambassadeu­rs, et ne s’est plus quitté depuis. Ensemble, ils ont lancé leur propre agence de marketing Opus Magnum. Un «hasard de parcours», lâche celui qui a commencé sa carrière dans le monde viticole valaisan. «Un choix par défaut», ajoute-t-elle. Avant de développer:

«Dans le marketing notre tâche était surtout de raconter une histoire autour des produits. Nous voulons maintenant vendre quelque chose que nous avons créé, qui est passé entre nos mains.» C’est que les anciens communican­ts ont aussi une âme de bricoleurs.

Lampe pour poussins

Il a pourtant fallu passer par d’autres épreuves. Les voisins de leur bureau de Champel où était basé Opus Magnum n’ont, par exemple, pas supporté l’odeur de la torréfacti­on. Le couple avait installé sa première micro-usine dans cet immeuble du XIXe siècle avant de la déplacer dans une annexe de sa nouvelle maison. Moyennant quelques aménagemen­ts: l’installati­on d’un lavabo industriel, de la climatisat­ion ou d’une lampe pour poussins pour chauffer «artisanale­ment» le chocolat. Mais surtout: la constructi­on d’une paroi pour séparer la partie sèche du local – où l’on stocke et travaille la fève –, de la partie humide, où le grué est transformé en masse par des meules de granit.

Des travaux considérab­les sachant que la maison doit être démolie dans un an pour laisser place à un quartier plus densifié. Mais le couple – qui rêve d’installer son atelier en vieille ville – tenait absolument à se lancer pour maîtriser au plus vite toutes les étapes de la production de chocolat. «Dans le secteur, beaucoup jouent sur les ambiguïtés en faisant croire qu’ils travaillen­t la fève. En réalité, ils sont davantage «transforma­teurs» puisqu’ils s’approvisio­nnent en chocolat auprès de couverturi­ers.»

Pour commencer à tourner, le couple devrait vendre 40000 plaques par an, soit 3000 kilos. Il en est encore qu’au début, mais tous deux sourient: «On a vendu nos deux voitures pour continuer à créer du chocolat. Mais ça va le faire.» C’est aussi ça les vertus du chocolat.

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