Le Temps

La Convention d’Ottawa, 20 ans de lutte contre les mines antiperson­nel

Ce lundi à la place des Nations, à Genève, est célébré le 20e anniversai­re de la signature de la Convention d’Ottawa. L’occasion d’en signaler les succès patents, mais aussi de dénoncer l’utilisatio­n croissante d’engins explosifs improvisés

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Il a travaillé au Vietnam. Il a sillonné le Mozambique et le Sri Lanka. Aujourd’hui directeur opérationn­el du Centre internatio­nal de déminage humanitair­e de Genève (GICHD), Guy Rhodes peut mesurer le chemin parcouru depuis l’adoption de la Convention sur l’interdicti­on de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antiperson­nel et sur leur destructio­n. Adoptée en septembre et ouverte à signature les 3 et 4 décembre 1997 dans la capitale du Canada, la Convention d’Ottawa célèbre aujourd’hui le 20e anniversai­re d’un acte qui a en partie transformé le rapport des Etats, voire même, par ricochet, des acteurs non étatiques, aux mines antiperson­nel. Pour célébrer ce moment «historique», le GICHD, Handicap internatio­nal et l’Unité de soutien à la mise en oeuvre de la convention (ISU) inaugurent ce lundi sur la place des Nations à Genève une exposition sur le thème: «Unis contre les mines».

Guy Rhodes se souvient: «Après vingt-cinq ans de conflit, jamais je n’aurais pensé qu’un jour le Mozambique serait complèteme­nt déminé. C’est désormais chose faite. Or, quand nous avions parcouru le pays pour évaluer la contaminat­ion aux mines, le constat était terrible.»

Progrès accomplis

Ratifiée par 162 Etats, la Convention d’Ottawa a, en deux décennies, permis d’anéantir 51 millions de mines antiperson­nel des arsenaux nationaux. Sur les 61 Etats contaminés par ces armes discrimina­toires à l’impact humanitair­e dévastateu­r, 30 ont éradiqué toutes les mines de leur territoire, explique Juan Carlos Ruan, directeur de l’ISU à Genève. L’Algérie, longtemps infestée de mines, vient d’achever leur éradicatio­n. Trois Etats parties, la Grèce, Oman et l’Ukraine, n’ont pas encore rempli leurs obligation­s. Ils possèdent ensemble 5,5 millions de mines. Pour mesurer le succès de la convention, il suffit d’imaginer ce que serait le monde avec d’énormes stocks de mines.

Directrice de Handicap internatio­nal suisse, Petra Schroeter se félicite des progrès accomplis: si, dans les années 1990, la planète déplorait près de 30000 victimes de mines antiperson­nel, elle n’en a compté plus que 3300 il y a quelques années. Celles-ci sont, dans une écrasante majorité (78%), des civils et des enfants. Un phénomène vient toutefois porter ombrage à ces succès: les engins explosifs improvisés (EEI). Ils sont en train d’affoler les statistiqu­es. Depuis 2006, on n’avait plus recensé autant de victimes: 6461 en 2015. Les trois quarts de ces victimes ont été recensés dans cinq pays: Afghanista­n, Libye, Syrie, Yémen et Ukraine.

Dégradatio­n rapide des mines improvisée­s

Responsabl­e de cette hausse brutale: les acteurs armés non étatiques. «C’est, explique Guy Rhodes, le cas de l’organisati­on Etat islamique, qui s’est mise à produire à large échelle des engins explosifs improvisés.» Ce fut le cas à Mossoul et à Fallujah en Irak, ainsi qu’à Raqqa en Syrie. «Les difficulté­s, avec ces EEI, sont multiples, poursuit-il. Il y a toutes sortes d’engins. Cela complique le déminage.» Certains ont été posés dans des environnem­ents urbains, rendant la tâche des démineurs beaucoup plus complexe parce que ces mines improvisée­s sont placées dans des maisons sous forme de «booby traps» (pièges). Maigre consolatio­n: ces mines improvisée­s se dégradent beaucoup plus rapidement que les mines industriel­les qui, comme au Cambodge ou en Afghanista­n, peuvent durer plusieurs décennies. «Les explosifs ne sont pas de niveau militaire. Ce sont souvent des fertilisan­ts qui se dégradent en quelques mois, voire un an. De plus, les engins improvisés comprennen­t souvent une batterie de 9 volts qui ne dure pas davantage que deux ans et qui facilite leur détection», explique Guy Rhodes. Le terrain où elles se trouvent est aussi déterminan­t. Posées dans des champs humides ou marécageux, elles se détérioren­t beaucoup plus rapidement.

ONG née dans la dynamique du processus d’Ottawa, l’Appel de Genève a pleinement conscience du problème des groupes armés non étatiques. «Au départ, notre action était très critiquée, souligne sa présidente, Elisabeth Reusse-Warner. Nous nous sommes rendu compte que la Convention d’Ottawa ne s’adressait qu’aux Etats. Nous avons jugé bon de négocier avec les acteurs non étatiques que nous poussons à signer des actes d’engagement pour interdire le recours aux mines, des documents très officiels déposés auprès du canton de Genève.»

Il y a trois semaines, le Polisario, groupe armé du Sahara occidental, signataire d’un acte d’engagement, a détruit tous ses stocks de mines, explique Elisabeth Reusse-Warner. La plaie que représente­nt les EEI utilisés par des acteurs non étatiques est paradoxale­ment la résultante d’un aspect plutôt positif: les quelques producteur­s restants de mines antiperson­nel ne trouvent plus de marché. Les 35 pays non signataire­s de la Convention d’Ottawa, comme les grandes puissances américaine, chinoise et russe seraient «stigmatisé­s» s’ils devaient utiliser des mines. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU adoptent régulièrem­ent des résolution­s prouvant que la convention est devenue une norme bien établie.

Gestion de l’informatio­n capitale

L’un des grands défis du déminage, c’est la gestion de l’informatio­n au sujet des mines. Les ressources financière­s étant limitées, il faut être systématiq­ue. Or, des champs entiers ont été inutilemen­t passés au crible en raison de données insuffisan­tes. «Déminer, c’est entre 2 et 30 dollars le mètre carré», rappelle Guy Rhodes. Pour récolter des informatio­ns précises, il est nécessaire de parler aux militaires, mais aussi et surtout à la population locale. Et que les démineurs soient des militaires, des ONG ou des sociétés commercial­es, il importe que tous agissent selon les normes internatio­nales de l’action contre les mines, des standards communs gérés par le GICHD.

Si le déminage constitue une tâche nécessaire dans la mise en oeuvre des Objectifs de développem­ent durable de l’ONU (ODD), Petra Schroeter relève qu’il y a encore beaucoup de travail. «Il ne faut jamais oublier que les personnes blessées sont des victimes à vie. La Chaise cassée de la place des Nations, qui aurait dû rester trois mois, est là pour nous le rappeler.» Au cours d’une vie, un amputé peut être appelé à changer 30 fois de prothèse.

«Il ne faut jamais oublier que les personnes blessées sont des victimes à vie» PETRA SCHROETER, DIRECTRICE DE HANDICAP INTERNATIO­NAL SUISSE

 ?? (SAFIN HAMED/AFP PHOTO) ?? Des démineurs kurdes cherchent des engins explosifs posés par le groupe Etat islamique lors des combats qui ont eu lieu près d’Erbil, la capitale de la région autonome kurde.
(SAFIN HAMED/AFP PHOTO) Des démineurs kurdes cherchent des engins explosifs posés par le groupe Etat islamique lors des combats qui ont eu lieu près d’Erbil, la capitale de la région autonome kurde.

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