Alain Berset, à la veille de la présidence
Après six ans au Conseil fédéral et quelques aigreurs d’estomac, une petite douceur s’offre à Alain Berset. Le socialiste amoureux de diplomatie sera élu président de la Confédération le jour même de la fête du saint patron des Fribourgeois
Le 6 décembre prochain, le socialiste fribourgeois Alain Berset sera, à 45 ans, le plus jeune président de la Confédération depuis Giuseppe Motta, parvenu à cette fonction à 44 ans – c’était en 1915. Souvent présenté comme un ministre qui parvient à s’imposer dans ses dossiers en gardant de la flexibilité, ce docteur en sciences économiques a aussi connu quelques déboires, comme avec PV 2020. Portrait.
Alain Berset peut dormir tranquille. Le 6 décembre prochain, presque six ans après son élection au Conseil fédéral, le socialiste fribourgeois sera élu pour la première fois président de la Confédération avec un score qui s’annonce bon, si ce n’est excellent. C’est qu’Alain Berset est respecté au sein du parlement fédéral. Au Conseil des Etats, en tant qu’ancien, il bénéficie d’une aura de «star», observe un élu avec un brin de sarcasme. Même parmi ses adversaires politiques: «C’est un faiseur, un homme qui veut changer les choses et essaie de le faire avec beaucoup d’engagement personnel. Il est très actif sur ses dossiers et sait travailler en équipe», souligne le sénateur Roland Eberle (UDC/TG), qui apprécie la politique «centriste et collégiale» pratiquée par le ministre de l’Intérieur.
Préféré au conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard, justement parce qu’il était du sérail et jugé moins polarisant, Alain Berset est vite entré dans le moule gouvernemental. En 2012, il rejoint le Conseil fédéral dont il rêvait peu ou prou dans le livre Changer d’ère, pour un nouveau contrat gouvernemental, cosigné en 2007 avec Christian Levrat, son jumeau politique. Pour tirer un trait sur les
«C’est un faiseur, un homme qui veut changer les choses»
ROLAND EBERLE (UDC/TG)
années Blocher, les deux socialistes appelaient de leurs voeux la formation d’un gouvernement centriste capable de porter des réformes jugées essentielles pour le pays. Aux côtés de Doris Leuthard (PDC), avec laquelle il est très complice, Simonetta Sommaruga (PS) et Eveline Widmer-Schlumpf (PBD), Alain Berset dispose à ses débuts d’une marge de manoeuvre au Conseil fédéral. Il peut imprimer sa touche personnelle sur les dossiers phares de son département.
L’une des premières préoccupations du ministre de 39 ans est toutefois de ne pas passer pour le jeunot ou le camarade imprudent et révolté. Dans le contrôle, il brille par sa prudence langagière, l’une de ses phrases préférées devant être: «Ce débat vaut la peine d’être mené.»
Rapidement, le socialiste séduit ses interlocuteurs politiques. Connue pour sa liberté de parole, l’ancienne conseillère aux Etats Christine Egerszegi (PLR/AG) est impressionnée par la vitesse avec laquelle ce docteur en sciences économiques se plonge dans les dossiers des assurances sociales et de la santé. «Je le perçois comme l’un des conseillers fédéraux les plus forts. Il a une manière de s’imposer progressivement, sans blesser. Il reste flexible tout en poursuivant le but qu’il s’est fixé. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui.»
Prudent, Alain Berset n’en est pas moins audacieux. Dès que ce natif du signe du bélier identifie une ouverture politique, il s’y engouffre. Il convainc le Conseil fédéral de proposer un contre-projet à l’initiative populaire pour une caisse maladie publique. Il avance aussi sur l’idée de réformer ensemble l’AVS et le deuxième pilier, une première. Il lance un grand bras de fer avec la pharma pour faire baisser les prix des médicaments, ce qui permettra 600 millions de francs d’économies entre 2012 et 2014.
La droite lui fait mordre la poussière
Les résultats politiques ne sont pas toujours à la hauteur de son audace. Le parlement lui retourne plusieurs projets. Suite aux élections fédérales, la nouvelle majorité de droite du Conseil national promet de faire mordre la poussière à ce jeune ministre un peu trop sûr de lui. Dans le domaine de la santé, il reste ainsi le conseiller fédéral qui accompagne la pluie et le retour du froid, chaque automne, en annonçant la hausse des primes maladie.
En matière d’assurances sociales, la droite et une partie de l’aile syndicale de la gauche le mettent au tapis le 24 septembre dernier: les Suisses rejettent la réforme des retraites. Ironie du sort, Alain Berset avait lui-même prédit ce vote en plaidant dans le livre publié avec Christian Levrat en 2007 pour la nécessité de s’attaquer d’abord au marché du travail avant de réformer le système de retraites. «Aussi longtemps qu’une majorité, par le biais d’un père, d’une tante, d’une fille ou d’un neveu, fait l’expérience de la précarité des salariés les plus âgés, les tentatives sérieuses de réforme sont vouées à l’échec», écrivaient alors les deux compères fribourgeois. Avec l’arrivée d’Ignazio Cassis au Conseil fédéral, Alain Berset voit sa marge de manoeuvre politique se réduire encore. Il se retrouve désormais dans un collège à claire majorité de droite tel qu’il le critiquait dix ans plus tôt.
«Politique culturelle pas lisible»
Réputé fin stratège politique, l’ancien pianiste a le verbe haut et se sent à l’aise sur les tapis rouges. Mais il peine à se démarquer de ses prédécesseurs dans le domaine culturel, qui revient aussi à son département. «La politique culturelle de la Confédération n’est pour moi pas lisible. Je ne sais pas dans quel but les Grands Prix de la musique sont décernés, par exemple. Et j’ai l’impression que la problématique des langues nationales est totalement écartée. Beaucoup d’artistes chantent en français, en suisse-allemand ou en italien, ce qui n’est pas du tout pris en compte», affirme par exemple Marc Ridet, le directeur de la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles.
C’est un paradoxe lorsqu’on sait le volontarisme déployé par Alain Berset pour éviter la suppression de l’enseignement d’une langue nationale à l’école primaire. En menaçant les cantons qui y songeaient d’une intervention fédérale, le ministre a joué avec le feu, estime Roland Eberle (UDC/TG). Au contraire, le conseiller national Jacques-André Maire (PS/NE), président d’Helvetia Latina, salue l’engagement du Fribourgeois en faveur des francophones. «La détermination dont il a fait preuve a porté ses fruits. Il a joué en finesse, comme il sait le faire.»
Alors qu’il se souciait de ne pas paraître trop jeune lors de son entrée au Conseil fédéral, à 45 ans, Alain Berset se plaît désormais à rappeler qu’il incarne la génération des nouveaux dirigeants européens, celle d’Emmanuel Macron et de Sebastian Kurz. Le socialiste sera d’ailleurs le plus jeune président de la Confédération depuis Giuseppe Motta, président en 1915 à 44 ans. Actif sur Twitter, roi du selfie politique, Alain Berset, qui se rêvait diplomate, saura profiter de son année présidentielle pour humer davantage l’air du large. Il n’a pas retenu de slogan pour teinter son année présidentielle, ce qui doit lui permettre de mieux s’adapter à l’actualité et de profiter simplement de la fonction. «On sent un réel plaisir chez lui à gouverner, observe son camarade Jacques-André Maire. Et ce n’est pas le cas de tout le monde.» ▅