Le Temps

L’homme reste une «machine à gagner»

- S. R.

Si les femmes ont dû lutter pour accéder au monde du travail, les hommes semblent avoir tout autant de mal à revendique­r le droit d’investir le foyer pour demeurer auprès de leurs enfants. D’où vient cette figure du père nourricier, plus utile au bureau qu’à la maison?

A l’heure de la sacro-sainte égalité entre les sexes, les clichés touchant les pères au foyer demeurent persistant­s. «L’homme est encore perçu comme une machine à gagner, déplore Gilles Crettenand, représenta­nt romand de la faîtière Männer, qui rassemble les organisati­ons d’hommes et de pères. Il doit se battre pour assumer son rôle paternel. Pourtant, de plus en plus d’hommes ne veulent plus se contenter d’être les papas du soir et du week-end.»

Derrière ce cantonneme­nt des rôles, l’idée que la mère détient une «complicité innée» avec l’enfant, que le père ne pourra jamais égaler. «Or, devenir parent relève de l’apprentiss­age, estime-t-il. Il faut arrêter de croire que tous les enfants élevés par leurs pères arrivent à l’école sans chaussures, faméliques ou avec les cheveux sales!»

«Idéal bourgeois»

Sociologue de la famille à l’Université de Genève, Eric Widmer le reconnaît: «En Suisse, on estime encore que la responsabi­lité des enfants en bas âge incombe aux femmes. Ce modèle est hérité de l’idéal bourgeois du XIXe siècle, qui érige la femme en fée du logis, en maîtresse de maison, et sur lequel la classe moyenne s’est peu à peu alignée.»

Aujourd’hui, dans 60% des ménages suisses, la femme est à 50%, l’homme à 100. Les familles dites inclusives, où l’homme et la femme se répartisse­nt le travail profession­nel et domestique, représente­nt à peine 3,5 à 5,5% de la population. Pourquoi? «Le temps partiel pour les hommes reste stigmatisé dans un modèle managérial basé sur le présentéis­me, souligne Gilles Crettenand. En Suisse, le mythe du travail et le sens du devoir sont très marqués. Tout comme la pression sur la carrière.»

Manque d’infrastruc­tures

Dans cette configurat­ion, c’est le plus souvent la femme qui s’efface. Pour Eric Widmer, ce retrait s’explique en partie par un manque d’infrastruc­tures. «Contrairem­ent à ce qui se passe en Allemagne ou dans les pays scandinave­s, le soutien à la parentalit­é est très faible en Suisse. Plus grave encore, la différence de traitement entre les sexes en matière de congé parental donne le signal institutio­nnel que l’enfant reste l’affaire des femmes.»

La Suisse est-elle décidément trop conservatr­ice? Pour le sociologue, le problème est avant tout politique. «Les autorités considèren­t que les choix familiaux relèvent de la sphère privée et que le politique n’a pas à s’en mêler. La Suisse a déjà un taux de fertilité très faible (environ 1,5 enfant par femme), si l’on ne veut pas le voir s’effondrer, il faut faciliter la transition parentale des pères et leur permettre de souffler grâce à un congé paternité.»

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