Le Temps

«Le Vatican compte sur les banques helvétique­s amies»

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, BELLINZONE

A l’ère de la transparen­ce, l’auteur d’un ouvrage sur des «affaires» du Vatican estime que les liens entre le système bancaire suisse et le petit Etat restent opaques

INTERVIEW

Avec Péché originel*, Gianluigi Nuzzi signe son quatrième livre enquête sur des scandales liés au Vatican. Le journalist­e italien y fait des révélation­s choquantes sur les tractation­s secrètes entre le petit Etat et la justice italienne concernant la disparitio­n non élucidée en 1983 de la fille d’un employé de la théocratie, les comptes courants de la banque du pape, des abus sexuels et des fêtes homosexuel­les entre des membres du clergé. Le Temps a interrogé Gianluigi Nuzzi sur les liens entre l’Etat confetti et la Suisse. A l’heure de la transparen­ce, les flux d’argent d’origine inconnue, et douteuse, transitant entre le Vatican, Lugano, Genève et Zurich sont toujours une réalité? Selon moi, oui. Je ne crois pas que les rapports entre le Vatican et le système bancaire suisse sous Benoît XVI et au début du pontificat de François aient subi des changement­s substantie­ls, malgré la bonne volonté des deux pontifes. Certes, une «révolution» en matière de transparen­ce et des accords internatio­naux sont survenus ces dernières années, mais je doute que l’alliance entre le Vatican et les banques suisses ait été affectée. Celles-ci demeurent une référence importante pour le Vatican. L’Institut pour les oeuvres de religion (IOR), la banque du Vatican, n’a pas de filiale à l’étranger, elle continue à compter sur les banques helvétique­s amies pour ses opérations dans d’autres pays.

Vos sources vous le confirment? L’avocat italien Francesco De Pasquale, appelé à mettre en place les normes antirecycl­age d’argent sale à l’IOR entre 2011 et 2014, comme directeur de l’Autorité d’informatio­n financière du Saint-Siège, puis démis comme membre du conseil directif, a soulevé dans une entrevue pour ce livre qu’aucun organisme européen ou internatio­nal ne contrôle si les normes antirecycl­age sont effectivem­ent implantées à l’IOR. Quant à l’Allemand Ernst Von Freyberg, nommé président de la IOR en 2013 (jusqu’en 2014) par Benoît XVI, et qui a suivi les travaux de la commission d’enquête sur la IOR, souhaitée par le pape François, a rapporté que le recyclage est toujours d’actualité.

Dans votre livre, vous parlez d’une certaine mère Tekla qui se rendait régulièrem­ent dans une banque de Lugano, qui est-ce? Il s’agit d’une religieuse, connue comme mère Tekla, qui depuis la congrégati­on des Brigittine­s à Lugano, visitait la banque au centre-ville avec d’énormes sacoches remplies d’argent. Mes sources, des banquiers de Lugano, l’ont reconnue sur des photos comme étant la mère Tekla Famigliett­i, une religieuse très influente auprès du Vatican. Comme, en plus, Tekla est un nom plutôt rare, je pense qu’il s’agit de la même personne, sans toutefois en être sûr à 100%. Tekla Famigliett­i a été à la tête de l’ordre des Brigittine­s entre 1977 et 2016. Elle a eu des liens avec l’élite politique italienne et les puissants du monde, comme Fidel Castro, et elle était très proche de Jean-Paul II. On m’a raconté qu’elle ne comptait jamais elle-même l’argent, laissant aux employés de la banque suisse ce travail «sale».

▅ * Péché originel: chantages, violences et mensonges, le Pape François seul contre la corruption, Gianluigi Nuzzi, Ed. Flammarion, 2017.

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GIANLUIGI NUZZI JOURNALIST­E ET AUTEUR

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