Investir est toujours une question de style
Alors qu’historiquement les titres «value» ont eu tendance à surperformer les valeurs de croissance, c’est l’inverse qui s’est produit ces dernières années. L’une des explications avancées pour expliquer ce nouveau paradigme est l’avènement des ETF et de la gestion passive. En effet, l’achat quasi systématique et aveugle des plus gros titres de la cote a généré une spirale qui pousse toujours plus haut les actions de croissance, en particulier celles de la technologie, sans lien direct avec leurs fondamentaux. Mais n’oublions pas que ces périodes d’exagération précèdent souvent de grandes corrections de marché.
«Le facteur qui a pesé du doigt sur le plateau de la balance est sans doute le développement massif de la gestion indicée, notamment des fameux ETF»
Lorsque Gulliver débarque sur Lilliput, il découvre que deux factions rivales s’opposent dans une guerre sans fin afin de décider s’il faut casser un oeuf à la coque par le gros bout ou par le petit bout. Si l’on n’en est pas encore là dans le domaine de la finance, la question de savoir si la philosophie «value» vaut mieux que l’approche «growth» agite les investisseurs depuis que la bourse existe.
Surperformance des actions de croissance
Rappelons que les tenants de la valeur préfèrent investir à contre-courant dans des sociétés sous-évaluées, donc bon marché, tandis que les partisans des titres de croissance s’intéressent plus aux perspectives de développement qu’au prix payé. Les premiers tendent ainsi à privilégier des secteurs bien établis avec une bonne visibilité, tandis que les seconds favorisent souvent les valeurs disruptives, comme les sociétés technologiques.
La question est importante car les deux styles donnent souvent des résultats très différents. De fait, si historiquement, c’est le style «value» qui l’a généralement emporté, avec l’exception notable de la bulle internet, on assiste depuis le redémarrage des bourses post-crise financière à un phénomène nouveau et durable: la surperformance notable des actions de croissance.
L’arrivée des ETF a changé la donne
Le facteur qui a pesé du doigt sur le plateau de la balance est sans doute le développement massif de la gestion indicée, notamment des fameux ETF. Par définition, ces produits investissent de façon indiscriminée dans les grandes capitalisations, qui représentent la plus forte pondération des indices qu’ils sont censés répliquer. L’énorme afflux de fonds dans ces produits a ainsi eu un effet de cercle vertueux (ou vicieux selon le point de vue): les achats massifs ont fait monter les cours, ce qui a augmenté mécaniquement leur part dans les indices et conduit à de nouveaux achats.
C’est ainsi que, indépendamment de la qualité de leurs produits, les FANG (Facebook, Amazon, Netflix et Google), auxquels on peut ajouter Apple et Microsoft, ont vu leurs actions atteindre des prix stratosphériques. Les ordinateurs et autres robo-advisors finissent désormais par acheter tous la même chose, ce qui augmente encore la décote des sociétés délaissées.
Minimiser le risque de baisse
Si l’exubérance des marchés, renforcée aujourd’hui par une politique monétaire ultra-accommodante, tend à laisser croire que les perspectives de croissance de ces titres n’ont pas de limites, l’Histoire nous rappelle que ce type d’excès finit toujours pas être corrigé, souvent de manière spectaculaire. Dans ce cas, la question est moins de savoir quel style performe le mieux mais bien quel est celui qui fournit la meilleure protection.
La réponse est claire: parce qu’elles ont moins monté et surtout parce qu’elles possèdent une réelle valeur intrinsèque, paient des dividendes, produisent des biens tangibles, les sociétés de valeur sont globalement moins volatiles dans ce type de correction et résistent mieux aux chocs.
Pas de «free lunch»
Compte tenu des excès auxquels on assiste actuellement sur les marchés – et la flambée du bitcoin en est sans doute la manifestation la plus évidente –, il semblerait donc plus prudent de préférer les actions «value». Si cela semble logique, c’est pourtant plus facile à dire qu’à faire: dénicher les titres sous-évalués demande une recherche fondamentale approfondie effectuée par des équipes spécialisées. Car les sociétés délaissées ne sont pas toutes intéressantes, bien au contraire!
De fait, si l’étude des ratios financiers d’évaluation, comme la valeur comptable par action ou le rendement du dividende, permet de faire un premier tri, il faut ensuite se livrer à des analyses approfondies des bilans, mais surtout quitter le confort de son bureau pour aller visiter les entreprises, rencontrer leur management et connaître les perspectives de leurs produits. C’est à ce prix qu’on pourra dénicher des perles rares. Cette gestion nécessite par conséquent des ressources humaines importantes, ce qui explique que son coût soit plus élevé que celui des produits standardisés gérés en masse par des ordinateurs.
La diversification est la solution
Il ne s’agit pas ici de prétendre apporter une réponse définitive au litige entre les Gros-boutiens et les Petits-boutiens, mais simplement de rappeler que la capacité de résistance aux chocs compte au moins autant que la performance à court terme. Au moment de choisir entre «value» et «growth», le meilleur choix est donc sans doute de ne pas choisir et de se souvenir qu’en termes d’investissement, la diversification est la voie de la sagesse. Ainsi, on ne met pas tous ses oeufs à la coque dans le même coquetier!
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«Les tenants de la valeur préfèrent investir à contre-courant dans des sociétés sous-évaluées»