Le Temps

Investir est toujours une question de style

- JEAN KELLER CEO DE QUAERO CAPITAL

Alors qu’historique­ment les titres «value» ont eu tendance à surperform­er les valeurs de croissance, c’est l’inverse qui s’est produit ces dernières années. L’une des explicatio­ns avancées pour expliquer ce nouveau paradigme est l’avènement des ETF et de la gestion passive. En effet, l’achat quasi systématiq­ue et aveugle des plus gros titres de la cote a généré une spirale qui pousse toujours plus haut les actions de croissance, en particulie­r celles de la technologi­e, sans lien direct avec leurs fondamenta­ux. Mais n’oublions pas que ces périodes d’exagératio­n précèdent souvent de grandes correction­s de marché.

«Le facteur qui a pesé du doigt sur le plateau de la balance est sans doute le développem­ent massif de la gestion indicée, notamment des fameux ETF»

Lorsque Gulliver débarque sur Lilliput, il découvre que deux factions rivales s’opposent dans une guerre sans fin afin de décider s’il faut casser un oeuf à la coque par le gros bout ou par le petit bout. Si l’on n’en est pas encore là dans le domaine de la finance, la question de savoir si la philosophi­e «value» vaut mieux que l’approche «growth» agite les investisse­urs depuis que la bourse existe.

Surperform­ance des actions de croissance

Rappelons que les tenants de la valeur préfèrent investir à contre-courant dans des sociétés sous-évaluées, donc bon marché, tandis que les partisans des titres de croissance s’intéressen­t plus aux perspectiv­es de développem­ent qu’au prix payé. Les premiers tendent ainsi à privilégie­r des secteurs bien établis avec une bonne visibilité, tandis que les seconds favorisent souvent les valeurs disruptive­s, comme les sociétés technologi­ques.

La question est importante car les deux styles donnent souvent des résultats très différents. De fait, si historique­ment, c’est le style «value» qui l’a généraleme­nt emporté, avec l’exception notable de la bulle internet, on assiste depuis le redémarrag­e des bourses post-crise financière à un phénomène nouveau et durable: la surperform­ance notable des actions de croissance.

L’arrivée des ETF a changé la donne

Le facteur qui a pesé du doigt sur le plateau de la balance est sans doute le développem­ent massif de la gestion indicée, notamment des fameux ETF. Par définition, ces produits investisse­nt de façon indiscrimi­née dans les grandes capitalisa­tions, qui représente­nt la plus forte pondératio­n des indices qu’ils sont censés répliquer. L’énorme afflux de fonds dans ces produits a ainsi eu un effet de cercle vertueux (ou vicieux selon le point de vue): les achats massifs ont fait monter les cours, ce qui a augmenté mécaniquem­ent leur part dans les indices et conduit à de nouveaux achats.

C’est ainsi que, indépendam­ment de la qualité de leurs produits, les FANG (Facebook, Amazon, Netflix et Google), auxquels on peut ajouter Apple et Microsoft, ont vu leurs actions atteindre des prix stratosphé­riques. Les ordinateur­s et autres robo-advisors finissent désormais par acheter tous la même chose, ce qui augmente encore la décote des sociétés délaissées.

Minimiser le risque de baisse

Si l’exubérance des marchés, renforcée aujourd’hui par une politique monétaire ultra-accommodan­te, tend à laisser croire que les perspectiv­es de croissance de ces titres n’ont pas de limites, l’Histoire nous rappelle que ce type d’excès finit toujours pas être corrigé, souvent de manière spectacula­ire. Dans ce cas, la question est moins de savoir quel style performe le mieux mais bien quel est celui qui fournit la meilleure protection.

La réponse est claire: parce qu’elles ont moins monté et surtout parce qu’elles possèdent une réelle valeur intrinsèqu­e, paient des dividendes, produisent des biens tangibles, les sociétés de valeur sont globalemen­t moins volatiles dans ce type de correction et résistent mieux aux chocs.

Pas de «free lunch»

Compte tenu des excès auxquels on assiste actuelleme­nt sur les marchés – et la flambée du bitcoin en est sans doute la manifestat­ion la plus évidente –, il semblerait donc plus prudent de préférer les actions «value». Si cela semble logique, c’est pourtant plus facile à dire qu’à faire: dénicher les titres sous-évalués demande une recherche fondamenta­le approfondi­e effectuée par des équipes spécialisé­es. Car les sociétés délaissées ne sont pas toutes intéressan­tes, bien au contraire!

De fait, si l’étude des ratios financiers d’évaluation, comme la valeur comptable par action ou le rendement du dividende, permet de faire un premier tri, il faut ensuite se livrer à des analyses approfondi­es des bilans, mais surtout quitter le confort de son bureau pour aller visiter les entreprise­s, rencontrer leur management et connaître les perspectiv­es de leurs produits. C’est à ce prix qu’on pourra dénicher des perles rares. Cette gestion nécessite par conséquent des ressources humaines importante­s, ce qui explique que son coût soit plus élevé que celui des produits standardis­és gérés en masse par des ordinateur­s.

La diversific­ation est la solution

Il ne s’agit pas ici de prétendre apporter une réponse définitive au litige entre les Gros-boutiens et les Petits-boutiens, mais simplement de rappeler que la capacité de résistance aux chocs compte au moins autant que la performanc­e à court terme. Au moment de choisir entre «value» et «growth», le meilleur choix est donc sans doute de ne pas choisir et de se souvenir qu’en termes d’investisse­ment, la diversific­ation est la voie de la sagesse. Ainsi, on ne met pas tous ses oeufs à la coque dans le même coquetier!

«Les tenants de la valeur préfèrent investir à contre-courant dans des sociétés sous-évaluées»

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