Le Temps

«Ceux qui fraudent avec des ICO seront stoppés»

La folie du bitcoin, l’enquête sur l’ex-patron de Raiffeisen, les Paradise Papers: le directeur de la Finma, Mark Branson, revient sur les dossiers chauds du moment. Et met en garde ceux qui voudraient profiter de la technologi­e pour gagner de l’argent il

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHILDE FARINE ET SÉBASTIEN RUCHE, BERNE @MathildeFa­rine et @sebruche

Comment la Finma peut-elle encadrer les nombreuses levées de fonds en cryptomonn­aies (ICO) qui sont lancées chaque jour en Suisse? Avec quel moyen et quels objectifs? Les réponses de Mark Branson, le directeur de l’Autorité de surveillan­ce des marchés financiers.

Où en est l’enquête de la Finma sur Pierin Vincenz, l’ex-patron de Raiffeisen? A-t-il vraiment détenu des parts dans des entreprise­s que la banque s’apprêtait à racheter? Et comment la Finma n’a-t-elle rien vu? Il ne serait pas juste et équitable de faire des commentair­es sur le contenu de procédures en cours. Il faudra attendre la fin de l’enquête.

S’agit-il de la première procédure à l’égard d’une personne de ce niveau de direction de la part de la Finma? Non, nous menons davantage de procédures contre les individus depuis quelques années, car nous avons décidé de nous focaliser pas seulement sur les institutio­ns, mais aussi sur la responsabi­lité des actes répréhensi­bles dans les institutio­ns. Si quelque chose se passe mal dans une institutio­n, souvent un individu en est à l’origine. Mener des procédures contre les individus est une façon ciblée de remonter à la source du problème. Nous avons conclu l’an dernier à peu près autant de procédures contre des individus que contre des institutio­ns, à savoir 41 contre 44. Quant au niveau de hiérarchie, nous allons là où les faits nous amènent.

Ne faudrait-il pas que le public soit au courant, s’agissant d’actes répréhensi­bles de directeurs généraux? La loi prévoit que nous ne devons pas communique­r à moins qu’il y ait un intérêt particulie­r de surveillan­ce à le faire. C’était le cas par exemple avec le scandale 1MDB où les sanctions que nous avons prises étaient parmi les plus sévères que nous pouvions prendre.

Quand il s’agit du directeur général d’une banque systémique comme Raiffeisen, c’est aussi l’occasion de faire un exemple. Il ne s’agit pas de faire des exemples. Nous devons avant tout protéger la réputation de la place financière. Lorsqu’une affaire d’une certaine envergure est publique, il est également important que les mesures prises le soient aussi, de sorte de rendre transparen­te la façon dont l’affaire a été traitée et résolue. Plus le problème est important et sérieux, plus nous avons le besoin de communique­r.

La publicatio­n des Paradise Papers a-t-elle conduit à des enquêtes de la Finma? Chaque fois que de telles données sont publiées, nous les étudions. Il ne nous semble pas, pour l’instant, que les banques suisses soient très exposées cette fois. Des centres offshore sont plutôt concernés. Dans le dossier des Panama Papers, nous avions examiné une vingtaine de cas pour, finalement, lancer une procédure «d’enforcemen­t» [d’applicatio­n de la loi, ndlr]. De telles publicatio­ns sont une source parmi beaucoup d’autres.

Des banques suisses sont régulièrem­ent poursuivie­s et parfois condamnées à l’étranger mais la Finma ne dit rien. Comment faut-il interpréte­r ce silence? Nous devons regarder ces jugements à travers le prisme de la loi suisse. On ne peut pas automatiqu­ement conclure que quelqu’un qui aurait transgress­é une loi étrangère a aussi violé une loi suisse. Dans le cas de la gestion de fortune transfront­alière par exemple, on ne peut pas condamner automatiqu­ement quelqu’un qui aurait conduit un modèle d’affaires légal en Suisse. Par contre, on peut se demander s’il était conduit d’une façon suffisamme­nt imprudente pour que cela ait pu mettre la banque ou sa réputation en sérieux danger. Mais replonger dans l’histoire de la banque suisse et sanctionne­r des individus ou des établissem­ents seulement pour un modèle d’affaires qui était alors tout à fait accepté ne serait pas juste.

Dans la frénésie actuelle autour du bitcoin, combien de collaborat­eurs de la Finma sont chargés de surveiller l’activité financière liée aux cryptomonn­aies, dont les ICO (les «initial coin offerings», des levées de fonds opérées en bitcoins et autres monnaies virtuelles)? Nous mobilisons nos ressources existantes davantage vers ces activités virtuelles, qui font l’objet d’un fort engouement. L’innovation liée à la blockchain donne lieu à des projets sérieux qui rencontrer­ont le succès, d’autres non. Et d’autres encore sont potentiell­ement frauduleux. Notre travail consiste à distinguer l’innovation qui mérite d’avoir la chance de réussir de celle qui est frauduleus­e. Nous avons fermé un projet de cryptomonn­aie qui ne reposait sur rien et sommes en train d’en examiner d’autres. Ceux qui cherchent à gagner rapidement de l’argent de manière illégale seront stoppés. Les investisse­urs doivent aussi être très prudents.

Tous les acteurs des cryptomonn­aies auront-ils besoin d’une autorisati­on de la Finma? Tout le monde n’aura pas besoin d’une licence Finma, mais certains acteurs devront être surveillés au titre de la prévention du blanchimen­t, d’autres entreront dans le champ de la loi sur les fonds de placement ou sur les banques ou sur les valeurs mobilières. La Suisse s’est positionné­e en tant que hub des activités basées sur la blockchain. Ce succès se poursuivra si elle accueille des projets innovants et sérieux.

Quelle proportion d’ICO pose problème? Il est trop tôt pour le dire. Analysez-vous systématiq­uement les ICO lancées en Suisse? Nous observons systématiq­uement le secteur et nous approfondi­ssons les cas qui nous semblent potentiell­ement problémati­ques. Avec l’expérience, nous allons développer une pratique qui sera connue par les acteurs de cette industrie. La Finma est-elle suffisamme­nt équipée pour surveiller ces nouvelles activités numériques? De nouvelles lois sont-elles nécessaire­s? Nous disposons du personnel et des outils suffisants pour suivre et comprendre les projets, pour les évaluer ou même les fermer s’il le faut. C’est un défi pour la Finma car nous devons être aussi pointus sur des questions de technologi­e et de modèles d’affaires nouveaux qu’en matière de finance et de droit.

Les futures lois sur les services et les établissem­ents financiers, les LSFin et LEFin, assureront que l’ensemble des intermédia­ires financiers seront surveillés en Suisse à l’avenir. Pensez-vous que c’est une bonne chose? Il est positif pour la place financière que tous les secteurs importants soient soumis à certains standards. Nous sommes l’un des seuls pays dans lesquels le secteur des gérants indépendan­ts n’est pas régulé. Si ce secteur veut un accès au marché étranger, la réglementa­tion est inévitable. En outre, il est en concurrenc­e avec d’autres intermédia­ires financiers, qui eux sont régulés. La question est de déterminer quelle densité doit avoir cette réglementa­tion, sachant que nous ne voulons pas de bureaucrat­ie inutile.

Mais vous devez aussi montrer que la surveillan­ce suisse est équivalent­e à celle d’autres juridictio­ns, notamment

pour accéder au marché. Exactement, et cela amène un dilemme, bien illustré par la LSFin et la LEFin. Ces lois sont des homologues à la directive européenne MiFID qui, du point de vue de la philosophi­e de la réglementa­tion suisse, a l’air d’un monstre. La question est: quelle part de ce monstre devons-nous adopter afin d’avoir accès à ce marché extraordin­airement important? C’est une question très difficile et qui relève de la politique. Seul le gouverneme­nt et le parlement peuvent décider, pas la Finma.

Le niveau de densité choisi, justement, aura un impact direct sur le nombre de gérants de fortune indépendan­ts qui existeront. Si les contrainte­s sont trop lourdes, certains mettront fin à leur activité ou fusionnero­nt. Combien de gérants de fortune indépendan­ts voulez-vous? Nous n’avons aucun objectif chiffré de ce genre. Nous mettrons en oeuvre la réglementa­tion que créera le parlement et le marché décidera combien d’acteurs de ce type continuero­nt à opérer. L’expérience d’autres juridictio­ns qui ont effectué une démarche similaire montre que tous les acteurs ne veulent pas faire le saut vers un monde régulé. Certains arrivent en fin de vie, d’autres fusionnent afin d’être profitable­s dans le nouveau modèle. Etre régulé apporte des coûts mais aussi des atouts, comme de pouvoir mettre en avant le fait qu’on est surveillé. Ce secteur devrait être vu comme étant aussi sérieux et de même qualité que le reste du secteur financier suisse.

Etes-vous satisfait du rôle que jouera la Finma dans la future supervisio­n des gérants indépendan­ts? Des organismes seront créés pour assurer la surveillan­ce au quotidien, la Finma surveiller­a ces organismes et délivrera les autorisati­ons d’exercer aux gérants. Nous jouerons notre rôle dans cette configurat­ion et nous la ferons fonctionne­r.

Le tribunal administra­tif fédéral a jugé le 15 novembre que la Finma ne s’était pas montrée impartiale dans son traitement du dossier de l’assureur vie romand Zenith Vie. Qu’en pensez-vous? La Finma va-t-elle modifier ses procédures? En effet, le double rôle imposé à la Finma par la loi peut être critiqué: notre autorité doit décider en première instance sur ses procédures ainsi que sur les requêtes en responsabi­lité de l’Etat. Je comprends cette critique, parce qu’une indépendan­ce complète n’est pas possible dans cette constellat­ion. Le tribunal a pourtant décidé que nous pouvons faire plus pour améliorer une prise de décision indépendan­te. La Finma accepte la décision et va adapter sa pratique.

«La loi prévoit que nous ne devons pas communique­r à moins qu’il y ait un intérêt particulie­r de surveillan­ce à le faire»

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(PIERRE-YVES MASSOT/ REALEYES.CH) Mark Branson, directeur de la Finma: «Notre travail consiste à distinguer l’innovation qui mérite d’avoir la chance de réussir de celle qui est frauduleus­e.»

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