Le Temps

La surperform­ance des actions est un mythe

Les actions ne battent les obligation­s à long terme que si le portefeuil­le est très diversifié. En 2017, comme sur 80 ans, tout dépend d’une poignée de super valeurs

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Un mythe s’effondre. La recherche a multiplié les études démontrant la supériorit­é des actions par rapport aux obligation­s et au cash sur une longue période.

Pictet estime, par exemple, que le rendement réel des actions suisses atteint 7,46% de 1926 à 2016 et celui des obligation­s 2,43%. La surperform­ance moyenne réelle des actions suisses s’élève ainsi à 3,27%. Dans les milieux financiers, on a coutume d’expliquer ce surplus de rendement par l’existence d’une prime de risque des actions. C’est tout faux, nous explique Hendrik Bessembind­er, chercheur à l’Université de l’Arizona, dans «Do Stocks Outperform Treasury Bills?» (Journal of Financial Economics). Ce dernier affirme (et prouve) qu’aux Etats-Unis seules 4% des actions expliquent toute la création de richesse boursière entre 1926 et la fin 2016.

80 années d’observatio­ns

Ces révélation­s sont d’autant plus intéressan­tes et actuelles qu’en 2017 également ce sont quelques très grandes valeurs technologi­ques, d’Apple à Amazon, qui ont porté les indices boursiers vers de nouveaux sommets.

Hendrik Bessembind­er indique que, selon une stratégie d’achat à long terme (buy and hold), la plupart des actions individuel­les ne parviennen­t pas à battre les obligation­s d’Etat à un mois. L’économiste s’appuie sur les données de rendements mensuels sur 80 ans des actions contenues dans le Center for research in securities prices (CRSP), les 26 000 titres cotés en bourse, au NYSE, au Nasdaq et à l’Amex.

Entre 1926 et 2016, une minorité d’actions a surperform­é. Seulement 47,8% des rendements mensuels des actions ont dépassé ceux des titres souverains à un mois (TBills).

Si le regard se porte sur toute la durée de vie des actions individuel­les, depuis leur entrée en bourse jusqu’à leur sortie à la suite d’une fusion, d’une faillite ou de tout autre événement, 42,6% des actions ont surperform­é les TBills. A la bourse américaine, le rendement le plus fréquent est une perte de 100%. La durée de vie d’une action est en effet extrêmemen­t courte. En moyenne, celle-ci n’est que de sept ans et demi, selon le chercheur.

Les financiers pointent souvent l’effet «small caps», soit un rendement des petites et moyennes valeurs supérieur à celui des grandes, pour justifier la concentrat­ion d’un portefeuil­le sur les petites sociétés. Hendrik Bessembind­er prouve pourtant que dans 73% des simulation­s une stratégie individuel­le sous-performe le rendement mensuel des obligation­s d’Etat à un mois entre 1926 et 2016.

Les effets d’une forte asymétrie

La raison principale de ces étonnantes observatio­ns est attribuée par l’auteur à l’«asymétrie positive des rendements» (skewness).

En langage clair, les très hauts rendements d’une poignée d’actions compensent les très modestes rendements de la grande majorité des titres.

Les profession­nels de la finance emploient le terme de skewness.

Il se rapporte à la courbe qui représente la probabilit­é des rendements. On parle de skewness

positive lorsque la forme de la courbe qui représente la probabilit­é des rendements. Elle est positive lorsqu’elle penche vers la droite. Par exemple avant la crise financière, l’asymétrie de titres comme Google était très positive, avec une forte probabilit­é de gain. Puis survinrent la crise et une asymétrie de rendement négative (forte probabilit­é de perte). L’asymétrie positive des actions est en soi un sujet d’étude permanent dans les milieux financiers. Mais la littératur­e financière analyse généraleme­nt des périodes à court terme. Hendrik Bessembind­er rompt avec ce type d’analyse.

Toute la création de richesse actionnari­ale entre 1926 et 2016 atteint 35 000 milliards de dollars, aux Etats-Unis. Cinq actions (Exxon, Apple, Microsoft, General Electric et IBM) représente­nt 10% du total de la fortune créée. L’auteur ajoute que 90 entreprise­s, soit à peine plus d’un tiers de pourcent des sociétés cotées, ont créé la moitié de ces richesses et 1092 actions, soit 4% du nombre total, contribuen­t à 100% de ces 35 000 milliards.

Ces faits contredise­nt les idées reçues notamment parce que les économiste­s se concentren­t sur le court terme et sur le rendement moyen (et non pas médian), estime Bessembind­er.

Cette concentrat­ion des performanc­es sur quelques titres complète les travaux (Pavel Savor et Mungo Wilson en 2013) qui indiquent que 60% de l’excès de rendement s’est produit durant les quelques jours qui ont précédé des statistiqu­es macroécono­miques importante­s. David Lucca et Emanuel Moench ont également révélé que la moitié de l’excès de rendement depuis 1980 s’est produite la veille d’une réunion du comité de la Réserve fédérale américaine.

Les raisons des problèmes de la gestion active

Ces travaux soulignent l’importance d’une diversific­ation du portefeuil­le, en particulie­r pour les investisse­urs qui ont un objectif de performanc­e en termes de rendement moyen et de volatilité. Plus un épargnant concentre son portefeuil­le sur un petit nombre d’actions et plus il risque de ne pas inclure les quelques stars qui assurent l’essentiel de la performanc­e à long terme.

Les gérants de fonds actifs, qui sélectionn­ent un petit nombre de titres censés surperform­er l’indice de référence, peinent logiquemen­t à faire mieux qu’un ETF. Or un fonds de placement actif moyen détient seulement 65 actions. Ce constat contredit aussi l’idée selon laquelle la sous-performanc­e des fonds actifs provient essentiell­ement des coûts et frais ainsi que des biais comporteme­ntaux.

La valeur de la diversific­ation s’est encore accrue ces dernières années, sous l’effet d’Internet. La durée de vie des entreprise­s cotées a en effet tendance à se réduire dramatique­ment. Avec les nouvelles technologi­es, c’est le gagnant qui gagne toute la mise alors que de nombreux autres disparaiss­ent.

L’auteur en conclut que les rendements hautement risqués mais parfois extraordin­aires des start-up et du private equity ne sont finalement pas très différents des caractéris­tiques des actions cotées en bourse.

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(PAUL SAKUMA) Le groupe de Steve Jobs est l’une des rares actions à avoir contribué à la forte création de richesse des dernières 80 années. Pourtant l’iPhone n’a été introduit qu’en 2007.

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