Plus t’as faux, plus t’es riche
Dans le cadre d’une série sur la crise du journalisme, le magazine «Wired» a publié l’histoire d’un jeune homme de Vélès, une ville de 50000 habitants en Macédoine. On est en février 2016. Boris (nom d’emprunt) a créé un site web, DailyInterestingThings.com. Pour l’alimenter, il a trouvé sur la Toile une «information» selon laquelle Donald Trump a giflé un contradicteur lors d’un meeting électoral en Caroline du Nord. Il l’a recopiée à la virgule près, l’a postée sur la page Facebook de son site à l’intention de groupes intéressés par la politique américaine. A sa surprise, la page a été partagée 800 fois. A la fin du mois, son site a encaissé 150 dollars d’annonces de Google, soit l’équivalent de près de la moitié du salaire moyen en Macédoine. Boris a trouvé un filon. Il a quitté le collège pour se consacrer à ses nouvelles activités. Trump n’avait giflé personne, mais qu’est-ce qu’il en savait, lui, à Vélès, et quelle importance puisque l’argent arrivait?
Le reportage de Samanth Subramanian est édifiant. Il montre que les «fake news» procèdent autant d’une volonté de tromper que de gagner de l’argent. Une «information» rapporte d’autant plus qu’elle brise la norme. Le camp Trump brisant systématiquement la norme, Boris et ses copains ont multiplié les sites dédiés à sa victoire. Une centaine ont vu le jour à Vélès, redistribuant allègrement les «informations» pêchées quotidiennement sur les sites d’extrême droite américains. Rumeurs et désinformation décuplaient les clics. Les dollars de Google affluaient.
Boris eut de quoi s’acheter des vêtements, un ordinateur performant, des appareils. Il alla en boîte avec ses potes, débouchant des bouteilles de champagne à 100 dollars rien que pour les bulles. La vie, enfin!
Elle n’a pas duré très longtemps. En novembre 2016, Google a supprimé les annonces sur les sites macédoniens. Donald Trump venait d’être élu, les «fake news» y avaient sans doute contribué, il était temps de remettre un peu d’ordre.
Boris lui-même a quitté la posture amorale arborée durant l’année. «Un fou a gagné l’élection, dit-il. Il commencera peut-être la Troisième Guerre mondiale.» Une situation étrangère, les Etats-Unis, trop lointaine pour susciter des sentiments personnels parmi les jeunes d’une bourgade de Macédoine, était devenue une situation perçue: le mot «guerre mondiale» a de la résonance dans les Balkans. Trump président, ce n’était plus un jeu abstrait lucratif, c’était une dangereuse réalité.
Le jeune homme se voit maintenant en créateur de sites et de contenus crédibles sur tout sujet monnayable. La Toile restera son gagnepain.
Tandis qu’elle est pour Jimmy Wales, cofondateur de Wikipédia en 2001, l’instrument d’un idéal désintéressé de communication. Avec 45 millions d’articles en 288 langues, l’encyclopédie en ligne est le seul des dix sites les plus visités qui ne soit pas une entreprise commerciale. Le 25 avril 2017, Wales a annoncé le lancement de WikiTribune, un journal en ligne fondé sur l’intelligence collective de la communauté Wikipédia coachée par un petit nombre de journalistes professionnels rétribués grâce aux donations libres d’usagers satisfaits.
Le respect de la vérité et la recherche de l’impartialité qui caractérisent les contributeurs bénévoles et disciplinés à l’enyclopédie sont enrôlés dans le combat contre les fauteurs de «fake news». «Le modèle traditionnel des médias est cassé, dit Wales, il faut essayer de le réparer.» Les professionnels de WikiTribune sont responsables des choix éditoriaux, ils vérifient les contenus et les éditent, à égalité de statut avec les contributeurs d’informations. La communauté de travail entre les uns et les autres a pour but de solidifier les liens avec le public. Un modèle approchant, Wikinews, a échoué. Il y manquait l’irritant qui fait la différence entre un journal et une encyclopédie. WikiTribune inventera-t-il une formule gagnante qui fera de l’information vraie un plaisir quotidien à partager? On peut rêver.
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