Le Temps

«C’est comme poser le doigt sur le bouton nucléaire»

- RICCARDO BOCCO SPÉCIALIST­E DU PROCHE-ORIENT L. L. PROPOS RECUEILLIS PAR LT

Les répercussi­ons de la décision américaine sur Jérusalem pourraient être considérab­les. Interview de Riccardo Bocco, professeur à l’IHEID

Alors que les Palestinie­ns évoquent déjà une «déclaratio­n de guerre», le président Donald Trump n'a pas fait dans la dentelle mercredi. Reconnaiss­ant Jérusalem comme la capitale d'Israël, il promet d'accélérer le transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. L'analyse de Riccardo Bocco, professeur de sociologie politique au Graduate Institute de Genève.

Quelle significat­ion donnez-vous à ce discours? Je ne vois en réalité que deux explicatio­ns possibles: l'incompéten­ce ou la folie! Au-delà de sa réalité concrète, Jérusalem est un symbole qui rassemble derrière lui l'immensité du monde musulman. Jouer avec ce symbole, c'est presque mettre directemen­t le doigt sur le bouton pour déclencher une guerre nucléaire.

Quelles sont les motivation­s de Donald Trump? Les Etats-Unis n'ont

«Donald Trump n’est pas un «born again» qui obéirait à des motivation­s mystiques»

absolument rien à gagner par ce geste. Sauf si l'on imaginait une sorte de «théorie du chaos» par laquelle, avec tous les risques que cela comporte, les Etats-Unis tenteraien­t de redessiner brutalemen­t le monde pour tirer profit de la confusion afin d'asseoir leur domination. Mais je n'y crois pas: il n'y a pas de cabinet constitué qui aurait réfléchi à cela à Washington, et qui viendrait avec un plan cohérent à propos du Proche-Orient sur lequel il aurait planché pendant six mois. Dans la mesure où Donald Trump continue à éliminer ses aides et à affaiblir la plupart des secteurs de l'administra­tion américaine, il semble s'agir d'une décision qu'il a prise pratiqueme­nt seul. Et même dans ce cas-là, elle reste difficile à comprendre. Donald Trump n'est pas un «born again» qui obéirait à des motivation­s mystiques, comme a pu l'être George W. Bush. Reste encore l'influence possible de son beau-fils, Jared Kushner. Mais à mon avis, Trump a démontré qu'il n'était pas homme à se laisser diriger par qui que ce soit, fût-ce par le mari de sa fille adorée…

Précisémen­t, quels sont les risques que vous percevez? Sur le plan israélo-palestinie­n, cela intervient en plein processus dit de «réconcilia­tion» entre le Hamas à Gaza et le Fatah de Mahmoud Abbas en Cisjordani­e. Ce nouvel élément pourrait servir à créer une unité de façade, mais cela ne suffira pas à contrôler les possibles réactions de la rue. L'Autorité palestinie­nne (AP) pourrait être tentée, au moins en théorie, par l'auto-dissolutio­n. Elle dirige un Etat certes reconnu par l'ONU en tant que membre observateu­r, mais cet Etat vide est désormais aussi privé de capitale. Elle pourrait demander à la communauté internatio­nale de prendre ses responsabi­lités. Quoi qu'il en soit, l'AP risque d'être violemment prise à partie par certains secteurs palestinie­ns et même de subir des attentats. Les Arabes d'Israël bouillonne­nt, eux aussi, autour de la ville d'Umm al-Fahm (dans le nord d'Israël). De même, cela peut donner des ailes aux extrémiste­s juifs, qui continuent de rêver à la destructio­n des mosquées et à la reconstruc­tion du Temple.

Et pour les Etats de la région? Du point de vue militaire, Israël n'a rien à craindre. Mais le symbole Jérusalem a un fort pouvoir fédérateur qui – et c'est intéressan­t – concerne aussi bien les pays arabes que l'Iran ou la Turquie. Le pouvoir saoudien, tout spécialeme­nt, pourrait courir de gros risques. S'il acceptait la décision américaine, il s'exposerait comme cible aux groupes fondamenta­listes.

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