Le Temps

Ronaldo, un cinquième Ballon d’or qui consacre le triomphe des buteurs

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Sans surprise, le Portugais a remporté la plus prestigieu­se des distinctio­ns individuel­les devant l’Argentin. Le règne des deux hommes ne sera pas éternel, mais ils resteront comme les pères fondateurs d’un mouvement qui leur survivra

Cristiano Ronaldo a décroché jeudi le cinquième Ballon d'or de sa carrière, après ceux reçus en 2008, 2013, 2014 et 2016. Il égale ainsi le record de Lionel Messi (2009, 2010, 2011, 2012 et 2015), qui termine deuxième en 2017 comme à chaque fois que son grand rival l’a devancé. Cela fait dix ans que les deux footballeu­rs monopolise­nt la plus prestigieu­se des distinctio­ns individuel­les.

Rien ne permet d’affirmer qu’ils s’arrêteront là, mais les années passent même pour le Portugais (32 ans) et l’Argentin (30 ans) et, à court ou moyen terme, un autre joueur recevra le fameux trophée de France Football. Qui? Seul l’avenir le dira, mais il est probable que le futur lauréat s’inscrira dans la droite lignée de ses deux prédécesse­urs. En une décennie, ils ont profondéme­nt transformé le regard que chacun porte sur le jeu. Ils l’ont attiré sur le dernier geste.

Davantage que leur propre production, les grands artistes laissent au monde des mouvements en héritage. Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir et d’autres ont inventé l’impression­nisme. Georges Seurat a imaginé le pointillis­me. Pablo Picasso et Georges Braque ont développé le cubisme. Un siècle plus tard, crampons aux pieds plutôt que pinceau en main, Cristiano Ronaldo et Lionel Messi ont donné naissance au «butisme».

Des buts et des titres

Dans ce courant, la valeur individuel­le d’un joueur de football se mesure à sa capacité à marquer. Plus exactement, celui qui veut prétendre aux distinctio­ns individuel­les les plus prestigieu­ses doit amasser les titres majeurs avec son équipe, tout en affichant des statistiqu­es personnell­es exceptionn­elles. Depuis 2010, aucun des deux pères fondateurs du «butisme» n’a terminé une saison avec moins de 40 réalisatio­ns à son actif. Durant l’année civile 2017, qui faisait foi pour le Ballon d'or, Messi a inscrit, toutes compétitio­ns confondues, 52 buts, Ronaldo 49.

Le Portugais du Real Madrid a, malgré ce léger retard, convaincu le jury, composé de 176 journalist­es, car il a accompagné sa moisson de réussites de plusieurs sacres collectifs, dont la Liga et la Ligue des champions, son terrain de jeu favori: il en a terminé meilleure gâchette au printemps (12 buts, dont deux en finale contre la Juventus) et s’y est encore montré décisif cet automne. Lors de la victoire contre Dortmund (3-2) mercredi, il est devenu le premier homme à marquer lors des six matches d’une équipe au premier tour, tout en égalant le record, détenu jusque-là par le seul Lionel Messi, de 60 buts dans la plus prestigieu­se compétitio­n européenne.

Pour remporter le Ballon d'or, conclure à la chaîne n’est pas une condition suffisante – le meilleur buteur des cinq grands championna­ts européens Edinson Cavani (PSG) ne fait pas figure de candidat sérieux malgré ses 51 réalisatio­ns toutes compétitio­ns confondues en 2017 – mais nécessaire. La liste des lauréats pressentis pour ces prochaines années en atteste: Neymar se profile à court terme, Kylian Mbappé à moyen terme et Luis Suarez fait figure d’alternativ­e crédible. Des joueurs qui, comme Ronaldo et Messi, inscrivent souvent leur nom au tableau d’affichage. Le «butisme» a de beaux jours devant lui.

Le mouvement est assez récent. Avant le premier sacre de Cristiano Ronaldo en 2008, le Ballon d'or avait récompensé des joueurs aux profils variés: l’élégant meneur de jeu brésilien Kaka (2007), l’intransige­ant défenseur italien Fabio Cannavaro (2006), l’artiste auriverde Ronaldinho (2005), le finisseur ukrainien Andriy Chevtchenk­o (2004)… Exception faite du gardien Lev Yachine et de trois défenseurs (Beckenbaue­r deux fois, Sammer, Cannavaro), la récompense a, depuis son origine en 1956, presque exclusivem­ent consacré des joueurs offensifs. Mais depuis dix ans, la valeur du but a suivi la même courbe exponentie­lle que celle du bitcoin.

Evolution à double tranchant

Les joueurs en ont parfaiteme­nt conscience et profitent de chaque minute pour tenter de doper leurs statistiqu­es là où, par le passé, la star de l’équipe pouvait céder sa place pour se préserver une fois la victoire assurée. Une évolution à double tranchant, comme l’expliquait récemment Cristiano Ronaldo à L’Equipe: «On me regarde comme une machine à buts, comme un mec qui doit marquer tout le temps. Même si je bosse pour l’équipe, que je fais des passes décisives, que je m’implique dans le collectif, tout le monde s’en fout. Je ne suis plus jugé que sur le fait de marquer, qui n’est parfois pas toujours la chose la plus importante.»

Pendant ce temps, Manuel Neuer (troisième en 2014) a eu beau révolution­ner le poste de gardien de but et devenir champion du monde, il n’a pas désarçonné le duo Messi-Ronaldo. Aujourd’hui, le «butisme» étend son influence au-delà du seul Ballon d'or. Associée à sa remise entre 2010 et 2015, la FIFA a décidé en 2016 de lancer ses propres «awards». Une alternativ­e au résultat équivalent, ces deux dernières années, dans la catégorie du meilleur joueur.

«On me regarde comme une machine à buts» CRISTIANO RONALDO

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