Le Temps

La montagne, nouvel eldorado des festivals

Confrontée­s à des hivers capricieux ou à une rivalité commercial­e toujours plus rude, les stations de ski misent sur les événements musicaux pour dynamiser leur activité. Né de ce phénomène, le beau rendez-vous électro Polaris se tient ce week-end à Verbi

- DAVID BRUN-LAMBERT Polaris Festival, Verbier, jusqu’au 10 décembre. www.polarisfes­tival.ch

En 1987, Leysin lançait son Rock Festival qui, au gré de ses six éditions, devait accueillir à 1300 mètres d’altitude The Cure, Johnny Hallyday, Serge Gainsbourg ou encore Bob Dylan, et participer ainsi à rénover l’image de la station vaudoise. Trois décennies plus tard, le nombre d’événements musicaux en montagne connaît un boom spectacula­ire. Des Préalpes suisses aux cimes françaises, l’industrie du tourisme parie maintenant sur la pop ou l’électro pour pallier le manque de neige, la baisse de fréquentat­ion ou l’ennui qui frappe les hauts lieux de la glisse hors saison. Depuis Verbier, on observe que la tendance est en passe de se généralise­r.

Music Summit à Saint-Moritz, Unplugged à Zermatt, Worldwide à Leysin, Cosmo Jazz à Chamonix, Caprices à Crans-Montana ou aujourd’hui l’excellent Polaris, dont la troisième édition se déroule de jeudi à dimanche à Verbier: rares désormais sont les stations de ski qui ne possèdent pas leur raout musical. Pourquoi? «En raison d’hivers tardifs et d’une compétitio­n soutenue, toute une industrie touristiqu­e cherche des solutions pour diversifie­r ses activités, explique Eloi Rossier, président de la commune de Bagnes, sur laquelle se situe Verbier. L’organisati­on de manifestat­ions musicale présente l’avantage de mobiliser un large public et de générer une activité économique immédiatem­ent profitable.»

«Rayonner à l’internatio­nal»

Le décor est posé: confrontée­s aux problèmes d’enneigemen­t, à des infrastruc­tures condamnées à végéter à l’intersaiso­n ou à l’évidente nécessité d’attirer chez elles une clientèle renouvelée, les stations misent sur des événements «capables de rapidement les dynamiser et les faire rayonner à l’internatio­nal», selon Vincent Riba, responsabl­e communicat­ion de Verbier.

Sur la question, le site valaisan en sait d’ailleurs long. Et depuis longtemps. Berceau d’un fameux festival classique qui fêtera l’été prochain sa 25e édition, il sait tout l’intérêt qu’il ya à attirer là un public de mélomanes quand skieurs ou freeriders ont depuis longtemps déserté ces sommets. «Nous avons réalisé deux études en 2006 et 2014 qui démontrent que notre rendez-vous crée une économie d’été indispensa­ble à la région», rappelle le musicien suédois Martin Engström, fondateur du Verbier Festival grâce auquel la station huppée connaît en juillet un considérab­le engouement. «C’est bien simple, sans cet événement pionnier, le site serait endormi durant l’été», reconnaît Vincent Riba.

Coûts de production élevés

Pour autant, cet incontourn­able de la musique classique en Suisse se bat toujours pour exister. «Financer un festival comme le nôtre demeure compliqué, assure Martin Engström. A chaque édition, on se pose la question de savoir si on sera là l’année d’après. Pour nous, comme pour Polaris, piloter nos manifestat­ions est d’abord affaire de passion, jamais de retour sur investisse­ment.» Car si l’organisati­on de rendez-vous open air constitue déjà une activité à haut risque, c'est encore plus le cas lorsque ces rendez-vous sont programmés en altitude.

«Le coût de production d’un festival en montagne est de 30 à 40% plus élevé que celui d’un événement en plaine», résume Raphaël Nanchen, cofondateu­r de Polaris. Lancé en 2015, l’impeccable raout housetechn­o a déjà accueilli sur son site les cadors Laurent Garnier ou Richie Hawtin. Pour sa troisième édition, il offre à écouter quelques idoles électro passées (Kenny Dope, Larry Heard, Derrick May, etc.) ou présentes (Luciano, Seth Troxler, Nina Kraviz, etc.). Soit «des artistes fondamenta­ux de l’histoire des musiques électroniq­ues, devenus rares ou bien à découvrir absolument», selon Mirko Loko, directeur artistique d’un festival dès ses premiers pas rêvé «intimiste».

Sponsoring sur mesure

Mais ici, sur le site exceptionn­el du Mouton Noir, à 2200 mètres d’altitude, créer une intimité comme des conditions propices au clubbing n’est pas affaire aisée. Infrastruc­tures acheminées jusqu’aux cimes par hélicoptèr­e, transport et logement des artistes ou du staff, parkings à aménager, gestion des déchets ou, bien entendu, sécurité du public: tout apparaît plus onéreux et complexe à organiser dans un contexte qui voit les partenaire­s privés toujours davantage rechigner à soutenir des manifestat­ions à capacité réduite.

«Depuis quelques années, les sponsors ont moins d’argent pour la philanthro­pie, préférant soutenir de grands-messes musicales qui attirent un maximum de public, explique Martin Engström. Or il n’y a jamais beaucoup de monde en montagne.» Un constat pessimiste qu’observe Raphaël Nanchen d’un oeil résolument combatif: «Nombre croissant d’événements, concurrenc­e accrue, diminution en raison de la crise des budgets marketing: ces paramètres nous poussent finalement à être toujours plus audacieux et créatifs!»

Démultipli­er ses sources de financemen­t en proposant, par exemple, des «solutions sponsoring personnali­sées», faire appel à des subvention­s touristiqu­es, augmenter ses recettes en visant un public haut de gamme ou encore décliner la marque d’un festival à l’aune d’éditions ponctuelle­s: à Verbier, comme ailleurs, s’imaginent de nouveaux modèles capables de pérenniser des événements nés de la réinventio­n forcée d’une industrie touristiqu­e asphyxiée.

Chic, cool et abordable

Toutefois, à bien y regarder, rares parmi ces manifestat­ions sont celles qui ne programmen­t pas DJ et live «homme-machine». «C’est bien simple, l’électro coûte moins cher, avance Raphaël Nanchen. Le coût des artistes et de leur logistique est globalemen­t inférieur à celui de la pop. De plus, le public house-techno se déplace plus facilement, n’hésite pas à voyager loin, et consomme davantage.»

Ainsi, de Caprices - maintenant concentré sur une programmat­ion house-techno durant un week-end - au nouveau venu Shapes annoncé à Leysin en mars prochain, un standard de festival chic, cool et aux coûts de production abordables domine partout. Le festival électro, l’avenir du tourisme d’altitude, alors? A voir. «Le phénomène va se poursuivre, prophétise Raphaël Nanchen. Mais comme en plaine, seuls demeureron­t les événements à l’identité forte et en adéquation avec leur environnem­ent.»

«L’électro coûte moins cher. De plus, le public house-techno se déplace plus facilement, n’hésite pas à voyager loin, et consomme davantage»

RAPHAËL NANCHEN, COFONDATEU­R DE POLARIS

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(ADEE) Le site du festival Polaris, sur le domaine skiable de Verbier.

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