Le Temps

La Norvège ralentit son soutien aux voitures électrique­s

- FRÉDÉRIC FAUX, OSLO

Précurseur dans le passage à la mobilité propre, le royaume nordique veut limiter les encouragem­ents fiscaux et pratiques offerts aux véhicules électrique­s. Le pays fait figure de laboratoir­e pour le reste du monde

En Norvège, les véhicules à moteur électrique peuvent emprunter les couloirs de bus.

Mais ces voies commencent à être saturées et les autorités envisagent de supprimer ce privilège.

L'un des plaisirs quotidiens de Jørgen Gilberg, lorsqu'il rejoint son domicile à Jessheim, une banlieue d'Oslo, est de tomber sur un embouteill­age aux heures de pointe. «Avec une voiture électrique, vous pouvez emprunter les couloirs de bus, se félicite-t-il en faisant bondir sa Tesla. Cela me fait gagner presque une heure chaque jour.» Cette dérogation est l'un des nombreux avantages dont bénéficien­t les conducteur­s de voiture électrique en Norvège. Ces véhicules, exonérés de toutes taxes, sont au même prix que leurs équivalent­s thermiques. Leurs conducteur­s ne paient pas les péages urbains, ni le passage par les ponts ou les ferries, et disposent de parkings réservés au centre des villes où ils peuvent se garer et recharger leur voiture gratuiteme­nt.

Des privilèges qui ont fait de la Norvège le premier marché, en termes de pénétratio­n, pour la voiture électrique. Elles sont 135000 à circuler sur les routes de ce pays qui compte seulement 5 millions d'habitants. Depuis janvier 2017, il s'y vend plus de voitures électrique­s ou électrifié­es que de voitures à moteur thermique. La Norvège est devenue un laboratoir­e pour le reste du monde, une étude de marché en temps réel. Des constructe­urs comme Audi, Mercedes ou Jaguar l'ont choisie pour lancer les ventes de leur premier modèle tout électrique. «Nous sommes le premier marché de masse pour ce type de véhicules», estime Sture Portvik, chargé de la mobilité électrique à la mairie d'Oslo.

Investisse­ments importants

Une performanc­e obtenue aussi grâce à d'importants investisse­ments. La capitale norvégienn­e, qui dispose déjà de 2000 points de recharge, va doubler ce dispositif d'ici à trois ans. Elle a aussi développé des parkings «tout électrique­s» comme le Vulkan, le plus moderne d'Europe, où 100 bornes «flexibles» permettent aux usagers de choisir leur puissance, et donc leur tarif. Toute l'infrastruc­ture est déjà prête pour accueillir la prochaine génération de «super-chargeurs», capables de charger une batterie en cinq minutes. «Le Vulkan est utilisé la nuit par les résidents du quartier, et le jour par les salariés qui viennent y travailler, explique Sture Portvik en enjambant les câbles qui courent au sol. La semaine dernière, j'ai parlé avec un livreur qui vient recharger sa fourgonnet­te ici… Il économise de l'argent, tout en préservant l'environnem­ent. Il était ravi!»

Un succès de l'électrique que la Norvège doit aussi apprendre à gérer. Les couloirs de bus, en effet, commencent à être encombrés d'«el-bil» (véhicules électrique­s, en norvégien). Les municipali­tés voient avec inquiétude leur base fiscale se réduire. «Les avantages dont nous bénéficion­s ont servi à lancer le marché, mais cela ne va pas être éternel», admet Petter Haugneland, porte-parole de la puissante associatio­n norvégienn­e de propriétai­res de voitures électrique­s, qui compte 50000 membres.

Aucun véhicule thermique en 2025

Lors de la discussion budgétaire qui s'est terminée la semaine dernière au parlement d'Oslo, certains avantages ont ainsi été limités. Les municipali­tés ont désormais la possibilit­é de faire payer parkings et péages aux voitures électrique­s, dans la limite de 50% du tarif normal. L'avantage fiscal sera maintenu en 2018, mais son bien-fondé sera réexaminé en 2019. Un amendement qui prévoyait de taxer les véhicules électrique­s pesant plus de 2 tonnes a en revanche été rejeté.

«Il y a un débat sur le rythme de la transition, admet le député Ola Elvestuen, du parti Venstre (parti libéral et social-libéral norvégien). Certains pensent qu'il fallait taxer les «gros» véhicules car, avec tous les avantages dont bénéficie l'électrique, le poids des taxes liées à l'automobile dans le budget a baissé. D'autres, comme nous, pensent qu'il faut maintenir les avantages fiscaux tant que les véhicules de livraison ou les voitures familiales ne sont pas passés à l'électrique. Mais tous les partis sont d'accord sur l'objectif, poursuit-il. Plus aucun véhicule thermique ne doit être vendu en Norvège en 2025.»

Car pour ses promoteurs, la voiture électrique doit remplir toutes les fonctions d'une automobile classique, en s'adressant à tous les membres de la famille, comme chez les Gilberg. «Aujourd'hui, je peux tout faire avec ma Tesla, même accrocher une remorque, ou entreprend­re de longs voyages, assure Jørgen en conduisant d'un seul doigt grâce au pilotage automatiqu­e. L'autonomie n'est plus un problème: je peux aller d'Oslo à Gibraltar en m'arrêtant tous les 300 kilomètres, sans payer un centime.» Arrivé chez lui, ce chef d'entreprise gare son véhicule à côté de la BMW électrique de sa femme, plus petite, mais largement suffisante pour amener les enfants à l'école et faire 20 kilomètres jusqu'au bureau. «Cela fait quatre ans que l'on a vendu notre dernier diesel, et je ne ferai plus marche arrière», sourit Jørgen.

Le graal de l'industrie du véhicule électrique, qui rêve de voir les moteurs thermiques évincés du foyer, que ce soit pour la «deuxième» voiture ou pour le véhicule principal, dont on se sert en famille les week-ends ou pour partir en vacances, est déjà devenu réalité dans la banlieue d'Oslo.

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