Le Temps

Des arbitres profession­nels

Sept directeurs de jeu et six assistants auront un statut de profession­nels à temps partiel dès le 1er janvier 2018. Une petite révolution qui doit permettre à l’arbitrage suisse de retrouver ses lettres de noblesse

- LIONEL PITTET, BERNE @lionel_pittet

Sur la pelouse, il est le seul amateur. Défrayé pour sa prestation, certes, mais attendu au boulot le lendemain. Les choses vont changer en 2018. L’Associatio­n suisse de football (ASF) et la Swiss Football League (SFL) ont dévoilé leur plan pour entamer un processus de profession­nalisation partielle. Sept arbitres et six assistants – tous estampillé­s FIFA – seront engagés à des taux d’occupation respectifs de 50% et 40%.

Dans l'élite du football suisse, joueur est un métier. Entraîneur aussi. Directeur sportif, préparateu­r physique, analyste vidéo, idem. Mais arbitre, non. Sans lui le match ne commence pas, mais il est le seul amateur sur la pelouse. Défrayé pour sa prestation, certes, mais attendu au boulot le lendemain.

Cela va changer pour certains: l'Associatio­n suisse de football (ASF) et la Swiss Football League (SFL) ont dévoilé mardi leur plan pour entamer un processus de profession­nalisation partielle. Sept arbitres et six assistants – tous estampillé­s FIFA, le plus haut degré de qualificat­ion – seront, dès le 1er janvier 2018, engagés à des taux d'occupation respectifs de 50 et 40%. «Le football est de plus en plus intensif, de plus en plus rapide. Pour suivre le mouvement, les arbitres doivent être de plus en plus affûtés et pour cela, ils doivent pouvoir se consacrer largement à leur entraîneme­nt», explique le directeur sportif de l'ASF, Laurent Prince, dans les locaux du Stade de Suisse, à Berne.

Président de la SFL, Heinrich Schifferle renchérit: «Nous aurons enfin des gens qui pourront répondre «arbitre de football» quand on leur demandera ce qu'ils font comme métier.» Cela fait longtemps que certains en rêvent. Voilà cinq ans, quatre arbitres de Super League rangeaient leur sifflet bien avant d'avoir atteint un âge rédhibitoi­re. La conséquenc­e d'un ras-le-bol. Ils ne se sentent pas assez soutenus et ne s'estiment pas assez payés. Ils doivent penser à leur avenir.

«Un pas important»

Parmi eux, deux Romands alors considérés comme les plus sûrs espoirs de l'arbitrage suisse: le Vaudois Damien Carrel, aujourd'hui décédé, et le Genevois Ludovic Gremaud. Ce dernier, par ailleurs docteur en chimie, témoigne à l'époque dans Le Temps: «Quand j'ai commencé, je croyais que le semi-profession­nalisme arriverait. Et finalement, je vois que rien n'a changé. J'aurais bien voulu partager mes deux activités à 50%, mais c'est impossible.»

C'était impossible, et cela le sera resté cinq ans de plus. Mais ce quadruple départ secoue les bonnes vieilles habitudes. Un nécessaire électrocho­c? «Le mot est un peu fort, tempère Laurent Prince, mais c'est clair que cela a poussé à entamer une réflexion de fond. La crise des vocations, c'est un thème permanent dans notre pays. Avec des semi-pros, nous offrons à l'arbitrage une locomotive qui va nécessaire­ment entraîner la base. Après, il fallait encore trouver le financemen­t nécessaire…»

L'enveloppe allouée au fonctionne­ment de l'arbitrage passe de 2,5 à 3,25 millions de francs par année. Cette augmentati­on, assumée par la SFL pour ses deux tiers environ et par l'ASF, permettra aux concernés de bénéficier d'un salaire fixe de 41000 francs hors indemnités de match. En Super League, celles-ci s'élèvent à 1250 francs pour chacune des 18 rencontres qu'ils peuvent diriger par saison au maximum. Peuvent encore s'ajouter des parties en Challenge League et sur la scène internatio­nale. Les assistants, eux, pourront compter sur un fixe de 33000 francs et des primes de match de 600 francs. «Les accords prévoient la possibilit­é pour les futurs arbitres semi-profession­nels de travailler jusqu'à 50% à côté, mais un jeune qui veut percer et officier au plus haut niveau peut tout à fait envisager de ne faire que ça, estime Laurent Prince. C'est un pas important pour le football suisse.»

En la matière, les grands championna­ts européens ont de l'avance. Les meilleurs arbitres français sont depuis cette saison profession­nels à 100%. Différents médias ont calculé qu'entre leur rente fixe et les primes de match, ils pouvaient gagner jusqu'à 120000 euros par an (environ 140 000 francs). Les modes de rémunérati­on varient mais les montants peuvent être encore plus importants en Angleterre et en Allemagne, où ils ont également tendance à augmenter. «Mais il n'y a pas lieu de nous mesurer à ces championna­ts, qui génèrent des droits TV largement supérieurs aux nôtres et ont donc d'autres moyens», estime Markus Hug, président de la Commission d'arbitrage de l'ASF. De nature plus comparable, la Belgique vient elle aussi d'offrir un statut semi-pro à huit de ses arbitres.

Adrien Jaccottet, ici lors d’un match entre Thoune et Young Boys, fait partie des arbitres qui souhaitent devenir profession­nels.

Meier, Busacca et plus personne

Cela fait longtemps qu'un arbitre suisse n'a plus sifflé au très haut niveau. Urs Meier a officié lors de deux Euros (2000, 2004) et de deux Coupes du monde (1998, 2002). Massimo Busacca a dirigé une finale de Ligue des champions en 2009. Mais depuis la participat­ion du Tessinois à la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, la relève se fait attendre. «Le but de cette profession­nalisation partielle est naturellem­ent que l'arbitrage d'élite suisse gagne de la renommée tant au niveau national qu'internatio­nal», déclare Heinrich Schifferle. Et que certains parmi Messieurs Bieri, Jaccottet, Fedayi, Schnyder, Tschudi, Klossner et Schärer atteignent des phases finales de grandes compétitio­ns.

A moins que ce ne soit ceux qui leur succéderon­t? L'ASF et la SFL espèrent en tout cas que la restructur­ation du secteur suscitera des vocations. Le processus s'accompagne­ra de mécanismes visant à repérer et encadrer les jeunes talents du sifflet jusqu'à ce qu'il y ait une certaine concurrenc­e entre les semi-pros et les autres. «Les sept arbitres actuels ont deux ans de sécurité de l'emploi, pour ainsi dire, glisse Laurent Prince. Au-delà, il est clair qu'ils seront menacés par ceux qui convoitent leur place. Nous restons dans l'environnem­ent du sport de haut niveau!»

«Un jeune qui veut percer et officier au plus haut niveau peut tout à fait envisager de ne faire que ça. C’est un pas important pour le football suisse» LAURENT PRINCE, DIRECTEUR SPORTIF DE L’ASF

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(PETER SCHNEIDER/KEYSTONE)

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