Le Temps

Un nouvel antisémiti­sme sévit en Allemagne

Les autorités allemandes dénoncent la xénophobie de certains des manifestan­ts qui ont dénoncé la reconnaiss­ance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël par la Maison-Blanche. La virulence d’immigrés de fraîche date les inquiète

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Un chandelier géant de dix mètres de haut a été installé mardi devant la porte de Brandebour­g pour marquer le début de la fête juive de Hanoucca. Au même endroit, vendredi, un bon millier de manifestan­ts ont protesté devant l’ambassade des EtatsUnis contre la décision de Donald Trump de reconnaîtr­e Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël. Deux drapeaux israéliens ont alors été brûlés aux cris de «mort à Israël» ou «Israël, assassin d’enfants». La police a procédé à une dizaine d’interpella­tions.

Un mélange improbable

Dimanche, un nouveau défilé a rassemblé cette fois 2500 personnes dans le quartier multicultu­rel de Neukölln. De nouveau, les manifestan­ts ont mis le feu à un drapeau israélien et scandé des paroles antisémite­s. De nouveau, la police a procédé à des interpella­tions, la plupart pour trouble à l’ordre public. Le fait de brûler des drapeaux israéliens n’est pas interdit par la loi allemande, sauf s’ils sont arrachés à l’ambassade ou à un consulat du pays. «Crier «Israël assassin d’enfants» relève de la liberté d’expression», ajoute le porte-parole de la police.

Ces manifestat­ions anti-Israël sont le fait d’un mélange improbable, rassemblan­t des éléments allemands du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), des sympathisa­nts du Hamas et de la milice libanaise Hezbollah, des fascistes turcs, des soutiens du parti AKP du président turc Erdogan et du Fatah palestinie­n. Les images de jeunes fanatiques turcs ou arabes encagoulés, drapés du foulard palestinie­n et brandissan­t des drapeaux turcs ou palestinie­ns, ont choqué en Allemagne. «Nous nous opposons à toute forme de xénophobie et d’antisémiti­sme. Aucune différence d’opinion, y compris sur le statut de Jérusalem, ne peut justifier de telles actions, a déclaré Angela Merkel, visiblemen­t choquée. L’Etat doit utiliser tous les moyens à sa dispositio­n pour lutter contre ça.»

Une avalanche de réactions politiques a suivi dans le pays, dont celle de Jens Spahn. «Nous assistons depuis bien trop longtemps avec indifféren­ce au développem­ent d’un antisémiti­sme importé, et ce au nom d’une fausse tolérance», insiste ce rival d’Angela Merkel au sein de la CDU, particuliè­rement critique envers la politique d’accueil des réfugiés de la chancelièr­e. «Tout acte d’antisémiti­sme est une attaque contre tous. L’antisémiti­sme ne devra jamais être autorisé à nouveau dans notre société», estime de son côté le ministre social-démocrate de la Justice, Heiko Maas.

Un problème d’intégratio­n

L’Allemagne, qui a condamné le cavalier seul de Washington sur Jérusalem, se découvre un antisémiti­sme musulman d’autant plus inquiétant que le pays a accueilli à partir de l’automne 2015 plus d’un million de réfugiés pour la plupart syriens, irakiens et afghans. L’un des jeunes ayant mis le feu au drapeau israélien ce week-end serait un jeune Syrien de 18 ans. «Les réfugiés viennent souvent de pays où on leur a inculqué l’antisémiti­sme dès le berceau, estime le spécialist­e de l’islam d’origine israélienn­e Ahmad Mansour, exigeant une meilleure intégratio­n des nouveaux venus. Les cours d’intégratio­n doivent mettre l’accent sur le fait que cela n’est pas possible en Allemagne. Seuls ceux qui sont prêts à intérioris­er la responsabi­lité particuliè­re de l’Allemagne envers le peuple juif et de renoncer à leur antisémiti­sme pourront s’intégrer.»

La communauté juive réclame pour sa part un durcisseme­nt de l’arsenal juridique. «L’antisémiti­sme s’exprime aujourd’hui souvent par le biais de la haine d’Israël, souvent en comparant Israël au nazisme, estime Samuel Salzborn, spécialist­e de l’antisémiti­sme de l’Université technique de Berlin. Il ne suffit plus de sanctionne­r la négation de l’Holocauste. Il faut doter la police et la justice de moyens leur permettant de lutter contre l’antisémiti­sme anti-israélien.»

Ce n’est pas la première fois que l’Allemagne est confrontée à un antisémiti­sme musulman lié au conflit israélo-palestinie­n. En juillet 2014, des manifestat­ions analogues avaient eu lieu pour protester contre l’opération «Bordure protectric­e» lancée par Israël sur Gaza. A cette occasion, des slogans antisémite­s avaient été scandés («Hamas, Hamas! Les juifs au gaz!»), suscitant l’indignatio­n de la communauté juive et de la classe politique.

Très minoritair­e

En Allemagne, le nombre d’infraction­s à caractère antisémite a légèrement augmenté au cours des dernières années. En septembre, le gouverneme­nt faisait état de 681 délits d’antisémiti­sme au premier semestre, soit une hausse de 6% sur un an. Dans 93% des cas, il s’agissait d’un antisémiti­sme d’extrême droite. Selon la police, 23 délits à caractère antisémite étaient liés, directemen­t ou indirectem­ent, aux conflits du Moyen-Orient.

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