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Pourquoi il serait bénéfique de supprimer les notes à l’école. Nos offres d’emploi

La plupart des institutio­ns scolaires persistent à vouloir attribuer une note à toute production scolaire. Pourtant, le système d’évaluation par notation ne reflète pas toujours le niveau de l’élève en matière d’acquisitio­n des apprentiss­ages

- AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin

La notation est-elle un élément positif de l’apprentiss­age? La plupart des institutio­ns scolaires persistent à vouloir attribuer une note chiffrée à toute production scolaire. Pourtant, de nombreuses recherches suggèrent que le système d’évaluation par notation est loin d’être fiable et objectif. JeanJacque­s Bonniol, professeur des université­s français en sciences de l’éducation, a par exemple calculé qu’il faudrait 78 correcteur­s en mathématiq­ues et 762 en philosophi­e pour neutralise­r les erreurs de calcul et améliorer l’objectivit­é de la notation.

Les origines de l’imprécisio­n de la notation sont multiples. En premier lieu et sans chercher l’exhaustivi­té, l’ordre de correction des copies influe grandement sur la note, rappelle Pierre Merle, auteur de l’essai L’école française et l’invention des notes, un éclairage historique sur les polémiques contempora­ines. En effet, après une bonne copie, le correcteur aura tendance à noter plus sévèrement la suivante, et inversemen­t.

Beaux et bien notés

Autre facteur d’influence: le physique de l’élève. Le sociologue Jean-François Amadieu rappelle à cet égard que la notation «à la tête du client» est plus répandue qu’on ne l’imagine. «Les enseignant­s partagent la croyance inconscien­te que les enfants les plus séduisants seront aussi ceux qui réussissen­t le mieux leur scolarité. Cette conviction entraîne l’intérêt accru de l’enseignant pour l’élève considéré comme un «jeune à potentiel». De ce fait, les évaluation­s de son travail seront plutôt bienveilla­ntes et il ne lui sera pas trop tenu rigueur de ses éventuels dérapages ou de son indiscipli­ne.»

Pierre Merle partage cet avis. «Les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Les professeur­s sont inconsciem­ment influencés par le sexe de l’élève, un redoubleme­nt éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, ses notes précédente­s, le niveau de la classe, de l’établissem­ent» et, plus étonnant encore, son prénom, comme l’indique une étude intitulée «Name Stereotype­s and Teachers’Expectatio­ns» dans laquelle deux chercheurs nord-américains ont démontré que les enfants étaient évalués différemme­nt selon la manière dont leur prénom était perçu par leurs enseignant­s. Il est ainsi apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiqu­ement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom «socialemen­t désirable».

A ces éléments s’ajoute le fait que les enseignant­s tiennent rarement compte des différence­s de maturité et de développem­ent intellectu­el entre les élèves nés en début d’année et ceux nés en fin d’année. Un enfant né au mois de décembre sera ainsi évalué avec la même sévérité que son camarade de classe né en février de la même année. «C’est la raison pour laquelle les enfants nés en fin d’année ont une scolarité plus difficile, commente le sociologue Francis Danvers. En primaire, 34% des élèves nés en décembre redoublent. A niveau égal, un élève qui a déjà redoublé au cours de sa scolarité est davantage orienté dans la voie profession­nelle qu’un élève qui n’a pas redoublé. Au total, onze mois de maturité en moins sont presque aussi discrimina­nts que le fait d’être un fils d’ouvrier plutôt qu’un fils de cadre.»

Démotivati­on et stress

Qu’en est-il de l’effet motivant et stimulant des notes? «Cette idée est diffusée surtout par les anciens bons élèves, répond Pierre Merle. Les plus de 100000 élèves sortis sans diplôme du système éducatif n’ont pas du tout été motivés par la suite continue de mauvaises notes recueillie­s au cours de leur brève scolarité.»

A cet égard, l’Institut national de recherche pédagogiqu­e (INRP) a entrepris une recherche sur la représenta­tion que se font de la note les professeur­s, les élèves et les parents. L’une des conclusion­s mérite réflexion sur les effets psychologi­ques des notations: alors que la note devrait être un élément positif de l’apprentiss­age, elle génère, lorsqu’elle est mauvaise, découragem­ent, fissuratio­n de l’estime de soi, angoisses, détériorat­ion des relations familiales et désintérêt pour la matière. «Les élèves sont en pleine constructi­on, explique la formatrice Maryse Hesse. Une appréciati­on négative engendre une mésestime de soi, une blessure chez l’élève fragile, une dévalorisa­tion qui le déstabilis­e et lui donne une image négative de lui-même et de ses capacités.» Stigmatisé, ce dernier est progressiv­ement enfermé dans une spirale d’échec.

Quant aux premiers de classe, les effets globaux de la note ne sont pas nécessaire­ment positifs. Si celle-ci peut certes renforcer la volonté de travailler et donner de l’assurance, elle favorise aussi la compétitio­n scolaire, l’individual­isme et les comporteme­nts antisociau­x. «Etre parmi les premiers devient parfois l’objectif prioritair­e», poursuit Pierre Merle. En outre, parce qu’ils sont focalisés sur les notes, les bons élèves s’intéressen­t moins à la connaissan­ce. Pire, ils s’en détournent. «Après le contrôle, le travail d’oubli fait rapidement son oeuvre. Inversemen­t, dans les systèmes éducatifs où les notes sont rares, les élèves apprennent davantage pour d’autres motifs: intérêt, curiosité, passion.» Et de rappeler: «L’essentiel de nos connaissan­ces et compétence­s – faire du vélo, nager, parler, être attentif à autrui, etc. – n’ont pas été apprises à l’école, avec des notes, mais de façon diffuse, lors de la socialisat­ion familiale et au contact d’amis. Les réels moteurs de l’apprentiss­age sont l’intérêt, un projet profession­nel, les conseils des autres… non les notes.»

Les pédagogues Etiennette Vellas et Eric Baeriswyl soulignent enfin un paradoxe. «Le système d’évaluation actuel est un instrument de sélection incompatib­le avec la lutte contre l’échec scolaire. L’institutio­n doit donc aujourd’hui rompre avec une incohérenc­e: demander aux enseignant­s de faire réussir chaque enfant tout en exigeant l’échec de certains par le maintien d’une évaluation notée.»

Quelles alternativ­es aux notes?

Evaluer un élève sans le noter, est-ce possible? En Finlande, pays en tête des classement­s internatio­naux en matière d’éducation, les élèves sont évalués pour la première fois à l’âge de 9 ans, de façon non chiffrée (l’enseignant se limite à indiquer si la compétence est acquise, en cours d’acquisitio­n ou non acquise). Cette absence de notes est complétée par un accompagne­ment soutenu des élèves en difficulté. Les premières notes tombent lorsque l’enfant atteint l’âge de 11 ans. La note la plus basse est cependant de 4/10, afin d’éviter de décourager l’élève.

En France, certains établissem­ents évaluent les compétence­s à l’aide d’un code couleur allant du vert (acquis) au rouge (non acquis) en passant par l’orange (en voie d’acquisitio­n). Accompagné de longues appréciati­ons de l’enseignant, ce système a le mérite de communique­r clairement une par une les forces et les faiblesses de l’élève, qui comprend où il doit s’améliorer.

La note favorise la compétitio­n scolaire, l’individual­isme et les comporteme­nts antisociau­x

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(GAËTAN BALLY/ KEYSTONE) Pour le sociologue français Pierre Merle, «les réels moteurs de l’apprentiss­age sont l’intérêt, un projet profession­nel, les conseils des autres… non les notes».

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