Face à «No Billag», les cantons périphériques se mobilisent
Une douzaine d’exécutifs cantonaux ont déjà pris position contre la disparition de la redevance. A Lausanne, le scrutin pèse sur le projet de campus RTS
Plus on est loin des grands centres, plus on est pauvre et peu peuplé, plus on se mobilise contre «No Billag». Le fait d’appartenir à une minorité linguistique aiguillonne aussi. Ainsi, la Suisse romande tout entière, le Tessin, les Grisons et une large partie de la Suisse rurale orientale sont-ils montés au créneau pour dénoncer les risques d’un oui à l’initiative qui veut supprimer la redevance et interdire le financement public des radios et des télévisions. Manquent à l’appel de cette mobilisation cantonale la Suisse centrale, celle du Nord-Ouest et Zurich.
En périphérie, on craint une désertification médiatique, à l’instar du Jura, des Grisons, de la Thurgovie ou de Schaffhouse. Vaud et Genève redoutent pour leur part l’arrivée de nouveaux chômeurs. Mais l’exécutif vaudois s’inquiète aussi d’un recentrage sur l’Arc lémanique qui laisserait en friche son arrière-pays. Sans parler du vaste projet de transfert du siège lausannois de la RTS de la Sallaz vers le campus de l’EPFL. Un projet qu’un oui à «No Billag» stopperait «définitivement», affirme Barbara Schutz, cheffe du service relations médias à la RTS.
Préoccupés par la désertification médiatique que pourrait engendrer l’initiative «No Billag», de nombreux cantons montent au créneau. Une certaine réserve demeure toutefois en Suisse alémanique
Les cantons suisses se mobilisent pour s'opposer à «No Billag». Du Tessin au Jura, de Genève en Thurgovie, une douzaine de gouvernements cantonaux appellent leurs citoyens à voter non au projet d'abolition de la redevance. On y retrouve la Suisse romande au complet, le Tessin, les Grisons, ainsi qu'une grande partie de la rurale Suisse orientale. Manquent à l'appel la riche Suisse centrale, le nord-ouest et Zurich. Pourquoi les cantons font-ils campagne?
Peur d’un désert médiatique
Du côté des cantons périphériques – alémaniques comme romands – c'est la disparition pure et simple de toute information cantonale qui est redoutée. Présidente du gouvernement jurassien, Nathalie Barthoulot est à la tête d'un canton de 74000 habitants considéré comme le plus pauvre du pays. La redevance permet à un territoire comme le sien de disposer d'une information complète et diversifiée, rappelle la socialiste, pour qui «l'appauvrissement du paysage médiatique que susciterait l'acceptation de l'initiative» rend «tout à fait possible» l'hypothèse prochaine de devenir un désert médiatique.
Il ne reste de fait que le Quotidien Jurassien pour continuer de relayer l'actualité cantonale. «Les centres urbains à fort pouvoir économique auront sans doute la possibilité de maintenir une offre médiatique diversifiée, observe-t-elle, mais pas les autres.»
Même son de cloche sur les rives du lac de Constance, en Thurgovie. Président du canton, Jakob Stark (UDC) s'inquiète des «conséquences politiques» que pourrait avoir une initiative qui paupériserait selon lui «encore davantage» le paysage médiatique local «déjà en situation de quasi-monopole».
Ne reste là aussi plus qu'un unique journal cantonal: le Thurgauer Zeitung. «Thurgovie et la Suisse orientale toute entière, rurale, seraient impactés de manière supérieure à la moyenne par la disparition de la SSR. Cela dégraderait l'information régionale, municipale et communale ainsi que la formation générale de l'opinion.» Une télévision basée sur les rentrées publicitaires n'a pas sa chance dans une région comme la nôtre, ajoute l'élu.
Dans le canton de Vaud, largement plus peuplé, c'est avant tout pour préserver la richesse de l'actualité locale que Nuria Gorrite, Présidente d'un Conseil d'Etat unanime sur la question, défend le service public: «Notre canton est le quatrième plus étendu de Suisse, les actualités
«Les centres urbains à fort pouvoir économique auront sans doute la possibilité de maintenir une offre médiatique diversifiée.
Pas les autres» NATHALIE BARTHOULOT, PRÉSIDENTE DU GOUVERNEMENT JURASSIEN
régionales y sont très diverses. Si nous ne voulons pas que toute l'attention se focalise sur les villes ou sur l'arc lémanique, la redevance est indispensable.» C'est également la peur de nouveaux chômeurs qui préoccupe des cantons comme Vaud ou Genève: «1500 personnes sont employées par la RTS sur l'Arc lémanique», rappelait récemment François Longchamp, Président du Conseil d'Etat genevois.
Quant à la réserve affichée par certains cantons alémaniques, la Conseillère d'Etat l'explique par l'abondance d'offre présente dans certains cantons outre-Sarine: «Lorsque vous avez trois ou quatre choix pour votre journal du dimanche et deux gratuits différents en semaine, vous voyez la question de la diversité de la presse autrement qu'en Suisse romande. Même l'hebdomadaire allemand Die Zeit a une édition spéciale suisse!»
La solidarité intercantonale remise en question?
Les bénéfices disparates de la redevance apparaissent en filigrane dans ce soutien contrasté. Les minorités linguistiques comme le Tessin, qui apporte 4% de la somme totale et en bénéficie de 22%, ou la Suisse romande, qui récolte un tiers du montant alors qu'elle n'y contribue qu'à un peu plus de 20%, sont vent debout contre l'initiative. La Suisse alémanique, qui paie près de 75% de l'impôt pour ne finalement profiter que de 43% de la manne finale, apparaît moins soudée.Interrogé sur la forte mobilisation des cantons, le président du comité de campagne «No Billag» en Suisse romande, Nicolas Jutzet, juge qu'il s'agit là d'une «occasion manquée»: «Les cantons ne veulent pas assumer la possibilité de financer une offre cantonale médiatique par eux-mêmes», déclare le jeune PLR. Qui s'indigne: «Quand c'est la Suisse allemande qui paie, là pas de problème!»
Les cantons alémaniques restés muets sur la question auront l'occasion de se prononcer le 22 décembre, date à laquelle l'assemblée plénière de la Conférence des gouvernements cantonaux discutera de son positionnement face à l'initiative.
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