Le Temps

Tout savoir sur le bitcoin

Est-ce une bulle? Une révolution? L’avenir? Personne ne sait vraiment

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

C’est une monnaie virtuelle dont le cours a explosé de 1700% cette année pour approcher il y a un peu plus d’une semaine les 19000 dollars. De quoi susciter quelques appétits. Mais comment obtient-on des bitcoins? Où peut-on les dépenser? Et peut-on vraiment devenir milliardai­re grâce au bitcoin? Mode d’emploi d’une cryptomonn­aie qui a le vent en poupe.

C’est une révolution technologi­que, une nouvelle forme d’or, une bulle financière ou encore une escroqueri­e. Le bitcoin peut être tout ceci, ou rien de tout cela, tout dépend de qui le définit. Une chose est sûre, il s’agit du phénomène technico-financier de l’année. Des réponses aux questions existentie­lles posées par le bitcoin.

Le bitcoin, c’est quoi? Une monnaie virtuelle créée sur la base d’un document de travail publié en 2008 et dans l’indifféren­ce générale par Satoshi Nakamoto, un pseudonyme derrière lequel se cachent un ou des individus jamais identifiés jusque-là. Le bitcoin repose sur un réseau décentrali­sé d’ordinateur­s qui vérifient les transactio­ns entre deux parties, comme le feraient une banque ou une autorité centrale. Chaque nouvelle opération s’ajoute dans un registre infalsifia­ble, la blockchain. Détenir du bitcoin revient à posséder une clé secrète prouvant à tout utilisateu­r du réseau qu’on détient ce bitcoin. Le nombre total de bitcoins qui sera mis en circulatio­n est limité à 21 millions d’unités, dont 17 millions ont déjà été créés. Le cours de cette cryptomonn­aie non régulée a explosé de 1700% cette année, jusqu’à approcher 19 000 dollars le 7 décembre. De nombreux observateu­rs pensent qu’il s’agit d’une bulle. Contrairem­ent aux monnaies traditionn­elles ou à d’autres actifs financiers, il est impossible de déterminer la valeur intrinsèqu­e du bitcoin.

Peut-on devenir milliardai­re en bitcoins? Absolument mais, pour le moment, mieux vaut mesurer 1,96 mètre, peser 100 kg et affirmer s’être fait voler l’idée de Facebook par Mark Zuckerberg. Ce sont les caractéris­tiques des premiers milliardai­res officiels en bitcoins, les jumeaux Winklevoss. Après avoir reçu 65 millions de dollars pour régler leur contentieu­x autour de la paternité du réseau social, ils ont acheté en 2013 pour 11 millions de dollars de bitcoins, alors que la cryptomonn­aie était encore peu connue et encore moins valorisée. Quelque 4 ans plus tard, le pactole de ces visionnair­es se compte en milliards grâce à l’envolée du bitcoin. Cette réussite fait rêver les acheteurs actuels de bitcoins, qui sont essentiell­ement mus par le syndrome FOMO – pour «Fear of missing out», une forme d’anxiété sociale qui fait que quelqu’un s’inquiète démesuréme­nt du risque de rater une opportunit­é. Dernier détail: les Winklevoss viennent de prédire que le cours du bitcoin allait encore être multiplié par dix ou vingt. D’autres, dont de nombreux banquiers, estiment qu’il n’a aucune valeur.

Qui détient des bitcoins? Il est estimé qu’environ 40% des bitcoins en circulatio­n sont détenus par un millier d’utilisateu­rs, selon plusieurs experts interrogés par l’agence Bloomberg. On les appelle des «baleines», l’appellatio­n utilisée dans les milieux financiers pour décrire des investisse­urs dominateur­s sur un marché. Il est probable que ces crypto-cétacés se connaissen­t et communique­nt entre eux, afin d’influencer le cours du bitcoin grâce à des opérations concertées. Ce ne serait pas illégal, puisque le bitcoin n’est pas une action ou une obligation, qui sont, elles, soumises à des restrictio­ns. Concernant le grand public, il a été beaucoup écrit que Monsieur et Madame Tout-lemonde s’étaient mis au bitcoin lorsque son cours a dépassé 10 000 dollars, le 28 novembre dernier. On peut en douter fortement. La Suède est l’un des pays les plus familiaris­és avec cette devise. Il est possible d’y investir facilement dans le bitcoin. Quelque 30 000 Suédois l’auraient adopté, c’est 50 fois plus qu’il y a un an. Mais ces précurseur­s ne représente­nt toujours qu’environ 0,3% de la population. Un test simple: combien de personnes de votre entourage possèdent des bitcoins?

Comment obtient-on des bitcoins?Il existe deux méthodes. La plus simple: échanger des monnaies traditionn­elles contre des bitcoins (ou des fractions de bitcoin) sur une plateforme d’échange comme Bitfinex ou, en Suisse, Bity. La plus complexe: «miner» des bitcoins, c’està-dire en produire avec un ordinateur. Ou plutôt avec des batteries d’ordinateur­s dont la puissance de calcul est mise en commun afin d’assurer les transactio­ns et de résoudre des problèmes mathématiq­ues extrêmemen­t complexes. En échange de leur contributi­on, les «mineurs» sont payés en bitcoins. La complexité des calculs explique qu’une transactio­n en bitcoins consomme autant d’énergie qu’un ménage américain pendant une semaine et que l’ensemble du réseau du bitcoin émet autant de dioxyde de carbone que l’Equateur. A terme, il est estimé que ce réseau consommera autant d’énergie que le Japon.

Faut-il «miner» des bitcoins avec sa Tesla? C’est ce qu’a tenté de faire le propriétai­re d’un bolide électrique produit par l’entreprise d’Elon Musk. Avec un raisonneme­nt simple: puisqu’il faut énormément d’énergie pour produire des bitcoins, autant la prélever là où elle est gratuite. Par exemple dans les centrales de rechargeme­nt Tesla, qui alimentent gratuiteme­nt et à vie les véhicules de la marque. On peut voir sur Internet des photos du coffre de sa voiture, rempli de batteries et de matériel informatiq­ue. Des experts ne sont cependant pas certains que ce crypto-conducteur a véritablem­ent miné des bitcoins dans son véhicule. Mais sa démarche n’est pas unique: la recherche d’une électricit­é bon marché a poussé des «mineurs» chinois à utiliser de l’énergie hydrauliqu­e, tandis qu’en Europe l’éolien est parfois préféré, encore de manière expériment­ale.

Comment peut-on dépenser des bitcoins? Le plus simple est d’effectuer des achats en ligne sur des sites qui acceptent les cryptomonn­aies. L’opération est plus délicate dans des commerces traditionn­els, puisque la vérificati­on d’une transactio­n peut prendre jusqu’à 10 minutes. Il est également

possible d’investir des bitcoins dans des ICO, pour «Initial Coin Offerings». Ces levées de fonds en cryptomonn­aies permettent de financer des entreprise­s qui n’existent pas encore, mais qui ont un projet technologi­que prometteur. Quatre des dix plus grandes ICO de 2017 ont été lancées depuis la Suisse, en particulie­r dans le canton de Zoug, qui s’est spécialisé dans ce secteur au point d’être rebaptisé la «Crypto Valley». La plus célèbre est celle de Tezos, qui a permis de lever l’équivalent de 232 millions de dollars l’été dernier. La somme est bloquée à cause d’un conflit entre les différents dirigeants impliqués. Ce qui ne l’a pas empêchée de tripler de valeur depuis, grâce à la hausse du bitcoin et d’autres cryptomonn­aies.

Faut-il envoyer ses bitcoins dans l’espace? C’est ce que propose ConnectX, une start-up qui compte héberger des bitcoins dans un réseau de petits satellites. Cet ambitieux projet mettrait à l’abri des hackers les bitcoins stockés sur des plateforme­s comme Coinbase ou dans des portefeuil­les virtuels, dénommés «wallets». Ces derniers présentent aussi l’inconvénie­nt de fonctionne­r avec des «clés» (un mot de passe à 52 chiffres) qu’on peut toujours oublier ou perdre (mais pas récupérer…). Tout comme on peut égarer le téléphone portable qui permet de se connecter à ces wallets. Reste la troisième option de stockage des monnaies virtuelles: le «hardware wallet», une sorte de clé USB sur laquelle on charge ses bitcoins et que l’on déconnecte d’Internet. Les hackers sont impuissant­s, mais les risques sont cette fois de perdre ou de se faire voler cette tirelire. Tirelire qui serait à l’abri de la plupart des monte-enl’air si on préfère prendre le risque de l’envoyer l’espace avec ConnectX.

Comment arrêter la folle envolée du bitcoin? En permettant de parier sur sa baisse, via une vente à découvert. La bourse de Chicago permet de le faire depuis le 10 décembre sur le bitcoin. Résultat, son cours a progressé de 26% durant la première séance, qui a été interrompu­e à deux reprises au cours de la matinée, afin de calmer le marché. D’autres opérateurs de marché lanceront des produits similaires dans les semaines qui viennent.

Que se passera-t-il si le bitcoin est régulé? Une réglementa­tion possible pourrait consister à obliger les acheteurs de bitcoins à s’enregistre­r auprès d’une autorité de surveillan­ce financière (la Finma en Suisse ou la SEC aux Etats-Unis) et à déclarer leurs transactio­ns. Leurs éventuels gains seraient alors taxés, ce qui constitue une forte incitation pour les pays à réguler le marché. L’attractivi­té de la cryptomonn­aie en serait également affaiblie.

Faut-il parler du bitcoin lors du repas de Noël? Le sujet a de fortes chances de figurer au menu des traditionn­elles logomachie­s familiales. Surtout si l’un des convives a investi, gagné de l’argent et décide de le faire savoir. Aux autres qui souhaitera­ient quand même briller autour de la dinde de Noël, Le Temps lance un défi: dire autre chose que «La blockchain est une technologi­e fascinante, qui ouvre des possibilit­és sans limites, mais concernant le bitcoin je suis plus réservé.» C’est la phrase la plus entendue de 2017 – après celle-ci: «Le bitcoin a encore progressé!»

Il a été beaucoup écrit que Monsieur et Madame Tout-lemonde s’étaient mis au bitcoin lorsque son cours a dépassé 10000 dollars. C’est faux: bien moins d’un pour cent de la population en détient

 ??  ??
 ?? (IMAGES: FRANK RAMSPOTT/GETTY) ??
(IMAGES: FRANK RAMSPOTT/GETTY)
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland