Autotarte
«Entartons, entartons, entartons les fascistes de salon!» C’est au son de cette sympathique ritournelle que cinq ou six drilles à fausse moustache et chapeau melon entreprirent, mardi, de noyer Marc Bonnant sous la chantilly. Opération rondement menée, vous l’avez certainement lu: l’avocat cheminait en fin d’après-midi vers la grande aula d’Uni Bastions (décidément, il s’en passe des choses à l’Université de Genève) quand il se vit baptisé dans la pure tradition pâtissière.
Passé la stupeur et un courroux fugace, Marc Bonnant redevint immédiatement Marc Bonnant. Dans la plus pure tradition maison là encore, il fit de l’épisode une phrase qui, à son tour, fit mouche: «Esthétiquement, la crème de Gruyère me va très bien. Cela m’a valu un hommage, des affections. Chacun voulait me lécher. C’était très agréable.» Et d’en remettre une louche, par gourmandise, dans la Tribune de Genève: «J’estime qu’il faut accorder à qui n’a pas de mots la possibilité de s’exprimer par une violence sucrée.»
En quelques mots et moins de temps qu’il n’en faut pour les scander, l’ancien bâtonnier venait de retourner la dialectique de l’attentat crémier, sous vos yeux ébahis. Que venait-il de se passer, aux Bastions? Un bourgeois embourgeoisé venait-il de se faire entarter par une joyeuse bande anarcho-libertaire? Pas le moins du monde, suggère sa réaction jubilatoire. Précisément l’inverse, même: un punk en cachemire et soie, parmi les derniers du genre, venait de tourner en dérision une brigade de pharisiens qui s’ignorent.
Réfléchissez-y un instant: où est la subversion? Chez l’avocat qui tranche, qui choque et qui provoque jusqu’à l’épuisement (pour vous donner une idée, je l’ai entendu de mes oreilles vanter la plume de Brasillach devant une association de lutte contre l’antisémitisme… – je tiens la bande à votre disposition)? Ou chez ceux qui entartent avec le vent, choisissant leurs victimes dans la liste officielle de ceux qui pensent de travers: avant-hier BHL, hier Finkielkraut, aujourd’hui Bonnant?
Oui, Marc Bonnant dit des énormités, exècre l’ordre moral et méprise la norme de son siècle. Son porte-cigarettes est un doigt d’honneur et sa culture classique un no future. Marc Bonnant ne nous emmerde pas, il est bien trop poli pour cela, mais c’est tout comme.Marc Bonnant est un punk. «Never Mind The Bollocks, Here’s Marc Bonnant», sifflote le fasciste de salon.
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