Le Temps

A Fribourg, un centre d’expertise pour mieux inclure l’islam

- ANTONIO LOPRIENO PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CONSULTATI­VE DU CSIS

Dans Le Temps du 17 novembre, Mireille Vallette interpelle le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg. Elle lui reproche de favoriser les propagateu­rs de l’islam et de ne pas distinguer la science et la foi. Il s’agit de deux erreurs. Clarificat­ion: l’expertise scientifiq­ue du CSIS ne répond pas à un besoin initial des communauté­s musulmanes. Au contraire, son défi principal est d’atteindre les leaders communauta­ires et contribuer ainsi à leur intégratio­n sociale et culturelle.

Le CSIS trouve son origine dans un double questionne­ment: de la communauté académique suisse et des profession­nels de terrain, qui relèvent la nécessité d’inclure l’islam dans la réflexion universita­ire et l’innovation sociale. Madame Vallette a une vision épisodique de l’islam et elle ignore que la religion transcende le choix privé. Les statistiqu­es récentes du Pew research forum (11.2017) montrent que la population musulmane dans notre pays va augmenter dans les prochaines décennies. Il paraît ainsi plus raisonnabl­e d’intégrer les forces religieuse­s de bonne volonté dans la réflexion sur leur participat­ion sociale et de questionne­r leur capacité à innover que de tolérer des espaces communauta­ristes qui représente­raient la conséquenc­e inévitable d’une marginalis­ation sociale et culturelle.

En ce qui concerne la distinctio­n entre science et foi: Mireille Vallette nous rappelle à juste titre que la recherche scientifiq­ue représente la pierre de touche d’un institut universita­ire. En effet, sans adhésion aux canons scientifiq­ues, le CSIS perdrait sa légitimité. J’irais même plus loin: pour notre société de la connaissan­ce, le transfert du savoir entre université et public est crucial. Dans un pays où la main publique finance plus de 80% d’un budget universita­ire, la confiance des citoyens dans la recherche est un pilier du contrat social.

Mais la science est une chose, le scientisme en est une autre. L’histoire nous montre que la méthode scientifiq­ue ne peut pas être mobilisée pour interpréte­r tous les domaines de la vie, et surtout que la «science» ne peut pas être réduite à une vision expériment­ale. L’interpréta­tion du Coran en est un exemple: reconstrui­re l’historicit­é d’un texte à la lumière des sciences telles que l’archéologi­e et la philologiq­ue de l’Arabie au VIIe siècle est une démarche tout aussi scientifiq­ue que l’étude critique de la réception de ce texte par la communauté qui s’en inspire. Les deux approches exigent des compétence­s différente­s, mais dans une université sensible aux développem­ents de la science et ouverte à la transforma­tion sociale, elles méritent la même confiance. L’image du CSIS dessinée par Mireille Vallette rappelle plus une caricature scientiste qu’une analyse scientifiq­ue.

Mireille Vallette se demande aussi si c’est le rôle de l’Etat de financer des modes d’enseigneme­nt ou de service social pour les musulmans. Bien évidemment, ceci n’est pas le premier rôle de l’Etat, comme ne le sont ni l’organisati­on d’une campagne de fouilles en Egypte, ni le soutien financier de la valorisati­on d’une synthèse de protéines – deux procédés qui pourtant relèvent de financemen­ts tout aussi étatiques sans qu’aucun ne s’y oppose. En revanche, dans un contexte européen qui connaît le primat de la main publique dans le développem­ent de l’enseigneme­nt supérieur, le rôle de l’Etat est justement d’assurer aux université­s, en l’occurrence à l’Université de Fribourg, l’autonomie qui lui permet de destiner une partie minime de son budget au CSIS, donc à l’étude scientifiq­ue et à l’intégratio­n culturelle d’une des grandes religions de l’humanité. Ce d’autant plus à un moment où des segments de cette religion sont sujets à une dérive criminelle. Gardons-nous donc d’une vision réductrice de la science et de l’innovation: «science» ne signifie pas uniquement «science empirique», et «innovation» ne coïncide pas avec «innovation industriel­le». Non seulement, le CSIS n’est pas le défenseur d’une vision obscuranti­ste de la religion, mais il est au contraire un laboratoir­e de l’innovation, et ce à des coûts très contenus. Cette combinaiso­n entre science et travail de terrain est possible, entre autres, par l’inclusion de la réflexion sur l’Islam par des musulmans eux-mêmes. Deux ans après sa fondation, le CSIS est devenu le référent critique pour une lecture de l’Islam dans notre société. En rendant un service académique à leur université, les scientifiq­ues du CSIS rendent un service encore plus grand à la Suisse, dont la force communauta­ire «se mesure au bien-être du plus faible de ses membres».

L’image du CSIS dessinée par Mireille Vallette rappelle plus une caricature scientiste qu’une analyse scientifiq­ue

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