Les préoccupations des Suisses en question?
Depuis plusieurs années, Credit Suisse mène une étude barométrique sur les préoccupations des Suisses. Lorsqu’on leur demande de citer spontanément leurs principaux soucis, les 1000 citoyens interrogés placent en premier le risque de chômage, puis l’AVS et la santé ex aequo, suivies par nos relations avec l’UE, la bonne marche de l’économie et la protection de l’environnement. Il s’agit là des sujets récurrents qui alimentent les colonnes des médias ou les émissions des radios et télévisions et qui viennent donc en premier à l’esprit. En revanche, la question de l’immigration n’arrive qu’en dixième position avec un score très faible de 11%. Mais ce n’est pas vraiment cela!
En effet, dès qu’on soumet aux sondés un jeu de 37 cartes, chacune mentionnant un thème spécifique, et qu’on leur demande de retenir les cinq qui leur semblent les plus importants pour la Suisse aujourd’hui, voilà que l’immigration et l’asile remontent en force avec respectivement 35% de citations et 19%. A noter que si cette problématique n’était pas artificiellement séparée en deux items, ce qui n’est le cas pour aucun des autres, le sujet de la présence étrangère serait sans doute en tête, avec l’AVS et le chômage crédités chacun de 44%.
Ce qui interpelle ici, c’est l’énorme écart entre les mentions spontanées et le résultat obtenu une fois les thèmes soumis. Il s’agit sans nul doute d’un effet de conformité sociale, les Suisses se sentant gênés d’aborder le sujet des étrangers, désormais tabou, qui les tracasse néanmoins au premier chef, et ils n’osent le faire que si la perche leur est tendue. Grave, non? Ce d’autant que, l’an dernier, Credit Suisse interrogeait spécifiquement les jeunes âgés de 16 à 25 ans qui citaient la libre circulation des personnes/l’immigration (46%) et l’asile (45%) comme les deux principaux problèmes du pays. Il n’y a donc pas ici de fossé entre les générations mais une préoccupation largement répandue, qu’il est grand temps de prendre en compte sans redouter de marcher sur les plates-bandes de l’UDC, sous peine de la voir continuer à être le premier parti des Helvètes.
La question des étrangers mise à part, on peut s’étonner que le chômage intervienne dans le trio de tête des problèmes qui se posent à la Suisse alors que son taux est extrêmement faible et qu’il n’a guère varié depuis plusieurs années. Pourtant, l’un des pires scénarios pour tout un chacun est d’être privé de travail, donc de revenus, pour subvenir à ses besoins. Il s’agit ainsi d’une peur existentielle, quand bien même elle n’est actuellement pas fondée puisque l’étude ne révèle pas de soucis sur le plan de la conjoncture économique. Et, accessoirement, cela prouve que la valeur travail reste bien présente dans le pays, malgré tous les discours sur la pénibilité et les maux qu’elle engendre.
Concernant l’AVS, il faut tenir compte du fait que le sondage a été réalisé cet été, alors que le débat sur la votation Prévoyance 2020 avait déjà commencé, ressassant les difficultés des assurances sociales. Toutefois, être privé de ressources durant ses vieux jours, ou les voir se restreindre, suscite la même crainte qu’être au chômage, quand bien même, pour la plupart des Suisses, il s’agit heureusement d’une angoisse plutôt que d’un danger réel.
Notons aussi que la protection de l’environnement n’est un souci majeur que pour 16% à peine de l’échantillon, alors que cette matière est en permanence à l’ordre du jour des gouvernements, des ONG et des associations, au gré d’un ours famélique, d’une rupture de banquise, d’un été trop sec, d’un hiver trop pluvieux… Cette emphase serait-elle devenue contre-productive comme, à l’inverse, l’excès de retenue envers la thématique des étrangers? Enfin, pour finir en beauté, relevons que les chercheurs ont jugé pertinent d’introduire cette année un nouveau danger à soumettre aux sondés: «Les relations avec les Etats-Unis et la présidence Trump», qui a obtenu le score imposant de 3%! Tel est pris qui croyait prendre…
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